Avant hier, j'ai emmené l'Ancien à l'enterrement d'un gars que je ne connaissais pas. L'Ancien, non plus, ne le connaissait pas mais on lui avait demandé d'aller dire quelques mots sur le défunt. Arrivés à l'église, je remarque une bonne vingtaine d'anciens combattants, à la louche entre 50 et 75 ans, en uniforme et arborant leurs placards de médailles, le béret rouge sur le crâne. Il y avait aussi quelques porte-drapeaux. Aucun d'entre eux ne connaissait l'homme qu'ils venaient honorer. Ils venaient, par leur présence, rendre hommage au soldat de 1ère classe T., chevalier de la Légion d'Honneur, croix de guerre avec palme, rendre hommage à l'un des leurs: un ancien militaire, un para, un combattant.
Le gars en question, 84 ans, était un ancien parachutiste de l'ex Bataillon des Parachutistes Coloniaux. Il s'était engagé à l'âge de 18 ans pour servir la France et, de fait, aller se battre en Indochine. Quelques jours avant la chute de Dien Bien Phu et alors que tout le monde savait que la fin était aussi inéluctable que proche, les généraux français continuaient d'ordonner des parachutages d'hommes et de matériels sur la cuvette. Les hommes qui sautèrent, tous volontaires et pour la plupart n'ayant jamais sauté plus d'une fois, savaient pertinemment qu'une fois à terre il n'y aurait qu'une alternative: la mort au combat ou être fait prisonnier par le Viet Minh. Des héros et le meilleur exemple de ce que pouvait être la bravoure militaire ainsi que l'engagement.
C'est bien évidemment ce qui arriva au 1ère classe T., 19 ans le jours du saut. Après avoir sauté de nuit et s'être battu au corps à corps, il fut fait prisonnier et comme des milliers de camarades eut à marcher des dizaines voire des centaines de kilomètres pour rejoindre les camps. Il resta prisonnier près d'une année avant d'être enfin libéré. Environ 11 000 hommes furent faits prisonniers lors de la chute de DBP, seuls 3 300 furent restitués par le Viet Minh, les 7 700 autres moururent dans des conditions souvent épouvantables: marches interminables, travaux forcés, sous-alimentation, mauvais traitements, conditions climatiques...
Cet épisode, ces largages inutiles, comme tant d'autres de cette période, ont quasiment disparu des livres d'Histoire; même l'armée d'aujourd'hui et ses plus hauts responsables ont du mal à se souvenir et font bien peu d'effort pour entretenir le devoir de mémoire. Heureusement, il y a encore des anciens combattants, des jeunes et des moins jeunes, qui sans forcément connaître personnellement ceux qui partent, pallient cette indifférence et cette absence de reconnaissance officielle en allant rendre hommage à ces frères d'armes.
Au milieu de la cérémonie fut lue la prière des paras, tous les anciens combattants se levèrent, et eux seulement, mirent leur bérets, se mirent au garde à vous et tous la récitèrent d'une seule voix. Je fus surpris de constater que l'Ancien aussi la connaissait... Je vous garantis que dans l'église, pleine à craquer, ça frissonna grave.
Je m’adresse à vous, mon Dieu
Car vous donnez
Ce qu’on ne peut obtenir que de soi.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste,
Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.
Je ne vous demande pas le repos
Ni la tranquillité,
Ni celle de l’âme, ni celle du corps.
Je ne vous demande pas la richesse,
Ni le succès, ni même la santé.
Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement,
Que vous ne devez plus en avoir !
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste,
Donnez-moi, ce que l’on vous refuse.
Je veux l’insécurité et l’inquiétude
Je veux la tourmente et la bagarre,
Et que vous me les donniez, mon Dieu,
Définitivement.
Que je sois sûr de les avoir toujours
Car je n’aurai pas toujours le courage
De vous les demander.
Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste,
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas,
Mais donnez-moi aussi le courage,
Et la force et la foi.
Car vous êtes seul à donner
Ce qu’on ne peut obtenir que de soi
A la sortie, je ne pus m'empêcher de penser ainsi: aurais-je été capable de m'engager, de sauter en sachant pertinemment que... Et les jeunes d'aujourdhui, seraient-ils capables d'un tel sacrifice ? ...
Folie passagère 3436
D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@yahoo.fr
Terrible réquisitoire qui souligne la médiocrité et la bêtise de certains généraux français qui furent incapables d'évaluer la situation et qui ont envoyé vers une mort inutile des milliers de jeunes soldats.
RépondreSupprimerbrindamour: les ordres venaient de Paris, j'imagine, à des milliers de kms de la réalité...
SupprimerC'est surtout que le gouvernement de l'époque, socialiste, avait à faire face sur deux fronts. D'une part, la gauche communiste et assimilée qui pesait de tout son poids contre la guerre, allant jusqu'à saboter armes et munitions envoyées à nos combattants. D'autre part, les pressions américaines qui s'exerçaient pour que la France liquide son empire colonial. Les socialistes n'ayant jamais eu pour particularité d'être courageux et opiniâtres, ces Jean Foutre ont saisi la première occasion pour prendre la porte de sortie, quoi qu'il puisse en coûter. Et puis il y a la médiocrité des officiers généraux de l'époque qui accumulèrent les erreurs, les bourdes, ajoutant à cela une sidérante incompréhension de la psychologie de l'ennemi et de ses resources en hommes, en combativité, en volonté de vaincre. Vieilles traditions républicaines françaises.
SupprimerKoltchack: c'est tout à fait ça. avoir choisi une cuvette, celle de DBP, est sans doute l'une des meilleures preuves de la médiocrité de certains officiers généraux
SupprimerBonjour.
RépondreSupprimerBel hommage ! Pour répondre à votre dernière question , la plupart des jeunes d'aujourd'hui n'auraient pas le courage de sauter , mais certains auraient celui de se faire sauter ...
Ortek
Ortek: hélas !
SupprimerQuand on fait partie d'une compagnie,d'un bataillon qu'on envoie au casse pipe on est pas tous seul et il y a une émulation de groupe,c'étaient les mêmes qui se sont fait hacher à Verdun et sur tellement d'autres champs de bataille et de tous temps ça n'enlève naturellement rien à leur courage et à l'admiration qu'on doit leur porter.
RépondreSupprimerMagnifique prière
Zen Aztec: l'esprit de corps. Où en trouve-ton un similaire aujourd'hui ?
SupprimerC'est bouleversant, mon cher Corto !
RépondreSupprimermarianne: je vs assure qu à plusieurs moment, l'assemblée n'en menait pas large.
SupprimerBonjour Corto,
RépondreSupprimerMagnifique billet qui me touche par bien des aspects.
"Cet épisode, ces largages inutiles, comme tant d'autres de cette période, ont quasiment disparu des livres d'Histoire; même l'armée d'aujourd'hui et ses plus hauts responsables ont du mal à se souvenir et font bien peu d'effort pour entretenir le devoir de mémoire." A titre personnel, je suis très attaché à la connaissance du passé. Je n'aime pas l'expression "devoir de mémoire" car elle sert trop souvent de cache-misère et n'a pour objectif que de dissimuler la turpitude et les mauvais calculs d'une certaine engeance qui préside à nos destinées.
Je m'implique dans plusieurs associations pour préserver ce qui fait encore notre squelette. J'ai appris une chose au fil du temps, c'est que notre pays n'aime pas son histoire et que s'il n'y avait pas un monde associatif actif en la matière, notre société n'aurait pas grand chose à envier au monde décrit dans 1984 de Georges Orwell avec son ministère de la Vérité. la réécriture de l'Histoire bat son plein. Au premier plan des acteurs de destruction, je placerai l'Education nationale et l'idéologie perverse qui l'anime. Un exemple: je discutai il y a peu avec un étudiant en Histoire (Master 2) qui voulait devenir enseignant. Il ignorait qui était Jacques Bainville au bout de cinq ans d'études spécialisées soigneusement bornées!!! J'envie sur ce point nos amis anglais qui savent, eux, respecter leur passé et ses acteurs. Il n'y a qu'à voir comment ils commémorent la Grande guerre. Pas question pour eux de courir, avec du rap pour musique de fond, parmi les tombes de ceux qui sont tombés pour leur pays. Chez nous, c'est la fête du slip à tous les étages et on ne devrait pas tarder à avoir des demandes de retrait des monuments aux morts des places de village. Et oui, en France, il faut être c... pour mourir pour son pays, ou le servir tout simplement, d'après une doxa de plus en plus officielle.
Bon après-midi
H: Bainville, Mauras, Mauras Bainville, tu m'étonnes que ton étudiant ne sache pas qui est Bainville !
SupprimerPour le reste, d'accord sur toute la ligne y compris pour la fête du slip. Black M à Verdun en eut été le plus parfait exemple, heureusement, pour une fois, ceux qui considèrent qu on est pas forcément cons a vouloir mourir pour son pays ont su se faire entendre
Seuls les imbéciles ou les malhonnêtes (ils peuvent être les deux) refusent d'admettre ou de voir que ce pays se casse littéralement la gueule. La République, puisque c'est le régime sous lequel nous vivons, s'est construite sur deux piliers: le service militaire et l'instruction obligatoire. Ça a donné Verdun et les hussards noirs. Le service militaire, où il faut bien admettre que le pire côtoyait le meilleur, n'est plus qu'un lointain souvenir (La génération Macron ne l'a pas connu). Quant au système éducatif, c'est un naufrage sans fin depuis que les théories soixante-huitardes y règnent sans partage (sur ce point, il y avait un débat intéressant aux Experts ce matin sur BFM Business. Le naufrage se vérifie désormais dans la classement PISA* et dans ses conséquences sur l'économie et le chômage mais il est hors de question d'appeler un chat un chat, le MEDEF vient d'en faire la triste expérience). Il est difficile d'avancer quand il manque les deux jambes et que de surcroit, l'immobilisme (le conservatisme?) est devenu une règle intangible. Sauf à se réformer profondément, le pays continuera à sombrer car son régime (ni le meilleur ni le pire, c'est simplement le nôtre), par le biais de son personnel politique s'est délibérément sabordé. Les dégâts sont désormais trop importants. Je ne pense pas qu'il puisse s'en relever même, et surtout, s'il pratique une fuite en avant vers un mondialisme ou européanisme débridé pour ne pas traiter les immenses et graves problèmes courants** (A Saint-Martin, je n'ai pas spécialement entendu parler de solidarité européenne. Vu les situations différentes entre la partie hollandaise et la partie française, je comprends cependant la réserve batave).
SupprimerBonne soirée
*https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_international_pour_le_suivi_des_acquis_des_élèves
**Il parait que la France est le pays où l'on consulte le plus des psychologues (je n'ai pas pu vérifier cette assertion) à tel point que d'aucuns avancent que les consultations seraient bientôt remboursées par la Sécu. On réfléchirait en haut lieu à la création d'une nouvelle branche de la Sécu pour ce faire.
H: c'est sans doute ce qui me fait le plus peur avec Macron, en plus de son immaturité: son européanisme forcené !
SupprimerLes jeunes d'aujourd'hui, oui, je pense, pas tous bien sûr, mais ceux qui ne tiennent pas les murs, qui savent le respect, le travail, qui ont été élevés dans des familles qui leurs ont donné le gout du travail et de l'effort, je sais que ça ne court pas les rues, mais j'en connais, alors, ça existe encore, Dieu Merci !
RépondreSupprimerBoutfil: y a un gap entre ceux qui savent le respect, le travail... et ceux qui auraient le courage de.... Je ne doute pas qu il y en ait même si je ne les vois guère
SupprimerDans l'autre sens le béret, rondjudju! En France, l'insigne se porte à droite et le béret est incliné de l'autre côté de l'insigne. Me ferez vingt pompes.
RépondreSupprimerPangloss: c'est la photo qui est à l'envers !:), des pompes, j en fait 50 tous les matins !
SupprimerSauf pour les Commandos Marine (Français)
SupprimerCette prière fut retrouvée dans les papiers personnels d'André Zirnfeld, l'un des premiers paras SAS de la France Libre, après sa mort, tué lors d'un raid contre un aéroport de Rommel en Lybie. Dans le civil, il avait été prof de philo au Lycée de Tunis.
RépondreSupprimerA ce sujet, fils d'un de ces paras SAS de la France Libre, j'ai été amené à dire récemment quelques mots à l'occasion de la commémoration d'un des combats menés en 1944 par ces paras pour la libération de la France : le député LREM de la circonscription était absente, elle avait fait dire qu'elle avait autre chose à faire ...
ADB: cela ne m 'etonne pas pour ta député LREM. L'an dernier,j ai amené l'Ancien à une cérémonie, il avait l'uniforme,la cravate rouge et toussa, le député du coin, un bravee type, LR, lui a dit: " b'jour M'sieur " !
SupprimerA chaque fois, je pense aux vers de Péguy:
RépondreSupprimerMère voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée.
Le Nain
Le Nain: + 1 !
SupprimerJ'aime beaucoup Péguy. Est-il encore enseigné ?
Et puis quoi encore !
SupprimerKoltchack: Ben quoi, on peut toujours rêver ! t'aimes pas Péguy ? :)
SupprimerMoi, bien évidemment, mais nos contemporains j'ai un doute. Et pour ce qui est de ceux qui font les programmes, aucun doute, pour eux Péguy c'est l'horreur.
SupprimerTon compte-rendu m'a fait frissonner, Corto. Que souvenirs, dès que je vois ce béret rouge ! Toute une vie, toute une époque. Les angoisses, la fierté, le sentiment d'appartenir à une famille pour laquelle l'amour de la France était essentiel.
RépondreSupprimerMerci...
Crisfi: de rien !
SupprimerEn vous lisant mon cher Corto moi aussi j'ai eu la larme à l'œil, j'ai pensé à mon très cher beau-frère décédé le 31 mais dernier à l’âge de 89 ans, il avait fait, lui aussi la guerre d'Indochine ou il avait vu agonir tant de camarades, lui il avait eu la chance de sortir de ce bourbier. S'il était encore été là, je lui aurais montré votre beau billet et j'en suis sûr lui aussi aurait eu la larme à l'œil, comme à chaque fois que l'on parlait de cet inutile conflit. Merci à vous l'ami et bien des choses à votre Papa !
RépondreSupprimerJP Fraïche: Mon père aussi a eu la chance de s'en sortir après avoir été abattu par la DCA Viet, 800km a pied et près d'un an de camp, il avait pour lui la chance d'être déjà officier ce qui lui valu des conditions de détention un petit moins drastiques, un tout petit peu moins, que les hommes de rang
SupprimerBigre, tu sais que te lis assidûment, mais en ce moment, tu te surpasses, j'en ai la gorge nouée, c'était cela la France, mais hélas, cela :"c'était avant". Superbe billet.
RépondreSupprimerAmitiés.
Gilles
G. Mavennais: certes c'était avant mais la présence de tous ces gens prouve qu ilne faut pas désespérer. Pour le moment et tant qu ils sont encore en vie. Après...
SupprimerDans une émission TV, un intervenant dit ceci:" les musulmans sont prêts à mourir, le sommes nous?": il doit attendre encore la réponse.
RépondreSupprimerBravo à l'ancien.
grandpas: et tout le pb est là, nous nous endormons quand ils sont prêts, du moins pour certains d'entre eux, à mourir
SupprimerIl y a encore des jeunes qui pensent à la France , mon petit fils (20ans) est para , béret rouge et très fier de son engagement .
RépondreSupprimerTon récit m'a fait penser à mon oncle qui est revenu d'Indochine dans des conditions souvent inhumaines . Ton récit m'a ému aux larmes ayant vécu ces moments avec mon premier beau-père .
Ta question : aurais-je été capable de sauter en sachant que... , je peux répondre oui , la camaraderie pour ne pas dire l'amitié dans un commando est un ciment qui t'"oblige" au regard de toi-même à franchir le pas .
claude Henri: j ai fait de longs mois dans la coloniale, avec une ambiance vraiment extra mais dans des conditions un peu difficiles voire tendues (proximité avec l'ethiopie et le Yemen, et bien je ne sais toujours pas répondre à la question
SupprimerT'as encore de la chance de pouvoir faire tes 50 pompes matinales, perso je ne peux plus à cause d'une épaule récalcitrante :)
RépondreSupprimerPour l'Indo,encore une guerre perdue malgré l'héroïsme et le savoir-faire de nos meilleures troupes(paras,infanterie de marine,légionnaires..),sacrifiées dans le chaudron de Diên biên Phu et à Cao Bang.
Enfin,les américains n'ont pas fait mieux que nous...
Vendémiaire
Vendemiaire: il y a 30 ans, j en faisais une centaine, affutés comme nous étions, je n en fais plus que 50 ! :)
SupprimerT as oublié l'armée de l air !
Je viens de finir de lire « Le Boucher des Hurlus » de Jean Amila. Novembre 1917. L’histoire des poilus fusillés pour avoir refuser de monter à l’assaut de Perthes-les-Hurlus, dix fois repris et reperdu, où près de cent quarante mille poilus sont morts pour rien, car l’endroit n’avait aucune valeur stratégique et on ordonnait ces boucheries inutiles uniquement pour « entretenir le moral de la Troupe. »
RépondreSupprimerLes fusillés pour l’exemple.
Mais les généraux sont faits pour mourir dans leur lit.
Noone
Noone: tous les généraux ne sont pas morts ds leur lit, tous les généraux n'étaient pas que des planqués, il y en avait de très bien.
Supprimerbonsoir corto, merci pour le témoignage. moi aussi j'ai frissonné grave en lisant la priére. Et non, je ne pense pas que des jeunes s'impliqueraient : il faudrait deja etre fier de son pays, d'etre francais etc...ce n'est plus la meme époque. anne
RépondreSupprimerAlors avec des héros comme fredi m. on est foutu!
RépondreSupprimerLes combats de Tu-Lê :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=ArI0qExstVA