Messieurs les recteurs,
Messieurs les imams,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Cette journée de dialogue entre les pouvoirs publics et les Français de confession musulmane aurait pu se prolonger fort longtemps, si j’en juge par la richesse des travaux qui se sont déroulés dans le cadre de quatre ateliers et dont nous venons d’entendre le compte-rendu.
La charge m’incombe pourtant de mettre provisoirement un terme à ces échanges, d’en tirer des conclusions – que j’espère aussi consensuelles que possible - et surtout d’indiquer les perspectives qui s’offrent à nous, afin que les objectifs que nous nous sommes fixés, fondés sur des diagnostics partagés, ne restent pas lettre morte. Mais avant d’en venir à ces considérations prospectives, je voudrais revenir sur l’esprit qui a présidé à cette rencontre exceptionnelle et sur le sens que nous avons voulu donner à ce dialogue.
Le Gouvernement, comme l’a rappelé le Premier Ministre ce matin, a souhaité susciter la réunion de cette Instance de dialogue parce qu’il est des questions très concrètes qui concernent l’exercice du culte musulman en France et qui méritent d’être traitées de façon concertée entre les pouvoirs publics et les représentants des fidèles.
Le Gouvernement a souhaité ce dialogue parce qu’il n’entend pas que les questions liées à l’exercice de votre culte fassent l’objet de polémiques démagogiques ou d’instrumentalisation à des fins partisanes.
Le Gouvernement a souhaité ce dialogue parce qu’il croit à la vertu de la laïcité : ce principe qui garantit à chacun la liberté de conscience – la liberté de croire ou de ne pas croire – et qui permet aux croyants de pratiquer leurs cultes dans des conditions dignes et paisibles. Tels étaient les objectifs de la loi fondatrice de séparation des Eglises et de l’Etat, adoptée en 1905. La laïcité, comme l’a rappelé ce matin le Premier Ministre, c’est donc la neutralité religieuse de l’Etat. Ce n’est pas le refus du dialogue que l’Etat entretient avec toutes les religions. Ce n’est pas davantage une démarche offensive visant à faire disparaître toute expression du fait religieux de l’espace public. La laïcité, ce n’est pas l’interdiction des repas de substitution dans les cantines scolaires. Cela, ce n’est pas la laïcité, c’est son instrumentalisation politique au détriment des seuls musulmans. La laïcité, ce n’est pas davantage l’interdiction du port du voile sur les plages. La laïcité, c’est ce principe qui transcende nos convictions et nos croyances et qui nous permet de vivre en bonne intelligence les uns avec les autres. C’est ce qui fait que nous formons une communauté nationale et que nous pouvons nous retrouver dans un même idéal de citoyenneté, dans le respect des lois communes et dans le rejet de toutes les formes d’intolérance. C’est donc au nom la laïcité que l’Etat doit garantir aux Français de confession musulmane le libre exercice de leur culte et qu’il doit en parler avec eux.
Nous en avons débattu au cours des mois passés au sein de tous les départements, en métropole comme dans les Outre-mer. Plus de 5000 personnes engagées dans l’Islam de France ont souhaité participer aux échanges organisés à l’initiative des préfets. J’en ai débattu personnellement avec le président et les membres du bureau du Conseil français du culte musulman. J’en ai débattu avec les responsables des principales fédérations de mosquées. Je me suis rendu à la rencontre des Français de confession musulmane dans leurs mosquées, à Bordeaux, à Carpentras, à Strasbourg, en Avignon ... pour en débattre encore. Et je continuerai de le faire. Inlassablement.
Et voici que s’achève cette journée d’échanges, riche de propositions et d’idées nouvelles.
La première condition de l’exercice libre du culte, c’est la sécurité. L’Etat doit naturellement assurer la protection des mosquées et garantir à chaque musulman, comme aux croyants de toutes les confessions, la faculté de pouvoir librement et paisiblement pratiquer sa religion, sans craindre d’être agressé, ni de subir pour cette raison des discriminations. Je sais que c’est un sujet qui préoccupe fortement, à juste titre, les Français de confession musulmane. J’ai déjà eu l’occasion de dire, notamment à Bordeaux au mois de février dernier, que je comprenais cette inquiétude et que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour apaiser ces craintes et procurer aux Français musulmans la tranquillité d’esprit à laquelle, comme chaque Français, ils ont droit. Dans la République, personne ne doit être menacé en raison de son origine, de sa croyance ou de ses opinions.
Face à la recrudescence des actes frappant les musulmans depuis le mois de janvier, face aux menaces pesant sur la sécurité des mosquées et des centres communautaires, le Gouvernement, bien entendu, n’a pas attendu la réunion d’aujourd’hui pour réagir. Mais nos échanges de ce jour étaient l’occasion de réfléchir aux moyens que nous pouvons mettre en œuvre pour mieux lutter contre ce fléau que sont les actes antimusulmans.
Comme vous le savez, le Gouvernement veille déjà à ce que 1000 mosquées fassent l’objet d’une protection par les forces de l’ordre et par les forces armées. Il y a eu trop d’agressions commises contre des mosquées depuis le mois de janvier, mais elles n’ont jamais fait de victimes et je crois donc que cet effort a un impact fortement dissuasif. Ce dispositif sera donc maintenu tant que l’état de la menace le justifiera. Le préfet Coudert, qui a succédé dans cette mission au préfet Latron, est l’interlocuteur des musulmans pour organiser cette protection. En outre, le gouvernement a décidé de consacrer 9 millions d’euros sur les trois prochaines années au financement d’équipements de sécurité, comme des caméras de vidéo-protection, dans les mosquées où le besoin s’en fait sentir. S’agissant de la répression des actes et des menaces commis contre des musulmans, des mesures immédiates ont également été prises. Dès l’an passé, j’ai ainsi donné instruction aux préfets de signaler systématiquement aux procureurs de la République tous les actes anti-musulmans, mais aussi racistes et antisémites, dont ils auraient connaissance.
Le préfet Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, a élaboré à la demande du Gouvernement un plan extrêmement ambitieux et cohérent, qui a été annoncé le 17 avril et dont il a rappelé ce matin les principales mesures. Je ne reviendrai pas sur chacune d’entre elles, mais voudrais insister sur trois points.
D’abord, je crois comme vous que la réalité du phénomène odieux que constituent les actes anti-musulmans est certainement sous-estimée, parce que trop de victimes hésitent à porter plainte : « A quoi bon ? se demandent-elles trop souvent, Qui donc m’écoutera ? » Il faut donc lutter contre ce sentiment de résignation, améliorer l’accueil des victimes, encourager les dépôts de plainte et faire savoir que la détermination de l’Etat à lutter contre ce fléau est sans faille. C’est pourquoi le gouvernement a demandé que L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), organisme chargé de rendre compte des évolutions des phénomènes délinquants et criminels en France ainsi que des réponses pénales qui y sont apportées, traite ce sujet dans le cadre d’une enquête de victimisation réalisée chaque année. En accord avec la Garde des Sceaux, je souhaite également que soit précisément évaluée la réponse judiciaire qui est apportée aux actes anti-musulmans : le bilan des condamnations prononcées à raison de tels actes doit être publié chaque année. Mais je vous demande également de contribuer à cet effort en relayant auprès des Français musulmans le message que je vous adresse. Il faut que les victimes portent plainte contre les actes et les menaces dont elles font l’objet ; je ne peux pas m’engager à ce que chaque auteur soit identifié, mais je m’engage à ce que chaque plainte sérieuse soit instruite.
Ensuite, chacun peut constater que le développement d’Internet et des réseaux sociaux, qui constitue par ailleurs un facteur de progrès exceptionnel, contribue également, hélas, à la diffusion des discours de haine, qu’ils soient dirigés contre les musulmans ou contre d’autres catégories de citoyens. Nous devons donc faire en sorte qu’Internet ne soit pas un espace de non-droit. C’est pourquoi j’ai engagé un dialogue avec les multinationales de l’internet et c’est également pourquoi j’ai décidé de renforcer nos moyens affectés à cette mission en créant bientôt une unité spécifiquement dédiée à la lutte contre la haine sur la toile. Mais là encore, nous devons travailler ensemble, pour améliorer le dispositif de signalements des messages de haine dirigés contre les musulmans. Rien ne serait pire que la résignation.
Enfin, au-delà des violences, au-delà des propos qui tombent sous le coup de la loi, je sais que l’image de l’Islam dans notre pays, ou la dégradation de cette image, constitue une autre source d’inquiétude. Je sais en particulier que, à la suite des événements de janvier, certaines déclarations, certains commentaires n’ont pas évité le piège de l’amalgame, du raccourci et de l’outrance, et que vous en avez été blessés. Pour ma part, comme je l’ai déjà dit, je comprends que les musulmans soient exaspérées de devoir sans cesse expliquer qu’ils n’ont rien à voir avec les attentats perpétrés sur notre sol. Je m’associe à votre indignation face à certains des propos qui ont été tenus. Mettre en relation les exactions de quelques individus avec les comportements et les valeurs de cinq millions de Français musulmans relève soit d’une coupable ignorance, soit d’une malhonnêteté inacceptable.
Plus généralement, je voudrais que nos concitoyens - et au premier chef ceux qui exercent une responsabilité publique ou qui aspirent à en exercer une – sachent s’approprier cette valeur fondamentale dans le débat public qu’est le respect. Comme tous les Français, les Français de confession musulmane aspirent à être écoutés et respectés. Chacun d’entre nous, lorsqu’il prend la parole, doit se représenter l’impact que ses propos auront sur celui qui l’écoute. Cela n’interdit ni le débat, ni le fait d’être en désaccord avec son interlocuteur. Mais le respect d’autrui est une responsabilité qui s’impose à toute autorité – politique, économique, journalistique, morale, religieuse – comme du reste à tout citoyen. C’est là la condition pour que nous vivions tous dans une société libre et apaisée.
Enfin, il est connu que les préjugés naissent de l’ignorance. Je crois donc également à la nécessité de faciliter l’accès du grand public à une meilleure connaissance de l’Islam et de la civilisation arabo-musulmane. Le ministère de la culture va entreprendre un travail de recension des projets portés par les institutions culturelles et audiovisuelles – France Télévision, l’INA, l’Institut du monde arabe, le Louvre, pour n’en citer que quelques-unes -et qui répondent à cette ambition. Des crédits publics seront également engagés pour soutenir les projets de recherche dans le domaine de l’islamologie, de l’étude de l’Islam de France et de la connaissance du monde arabo-musulman. Leur affectation précise sera annoncée à la rentrée.
Mais il appartient naturellement aux musulmans eux-mêmes d’être les acteurs de ce combat pour une meilleure connaissance de l’Islam comme religion et comme civilisation. Ce doit être, à mon sens, l’une des principales raisons d’être de la nouvelle Fondation de l’islam de France, qui aura bien entendu par ailleurs d’autres objectifs dans les domaines du culte, de l’éducation et de la solidarité. La gouvernance de cette Fondation devra faire toute sa place aux Français de confession musulmane, dans les champs de l’économie, de l’administration, de l’université et de la culture. Une mission de préfiguration sera mise en place d’ici l’été afin que cette nouvelle Fondation puisse être opérationnelle avant la fin de l’année.
L’exercice du culte, c’est également l’existence de lieux de cultes appropriés, en nombre suffisant pour permettre aux fidèles qui le souhaitent de se rendre à la prière. Des lieux qui respectent les conditions de sécurité s’imposant aux bâtiments recevant du public. Des bâtiments qui constituent un lieu de rassemblement mais aussi un sujet de fierté pour votre communauté. Il existe aujourd’hui environ 2400 mosquées et salles de prières en France. Certaines sont imposantes et même majestueuses : à Paris, bien sûr, à Lyon ou à Strasbourg où je me suis rendu. D’autres sont plus modestes. Par rapport à ce qu’était la situation il y a 20 ou 30 ans, le progrès est globalement considérable et il témoigne de la ténacité des membres de votre communauté – et souvent aussi, de l’attitude positive des élus locaux. Je veux saluer à ce titre la présence parmi nous de représentants de l’association des maires de France. Mais le nombre de ces mosquées, comme cela a été dit dans nombre des réunions préparatoires à cette instance, tenues dans les départements, n’est toutefois pas suffisant aujourd’hui pour répondre à toutes les attentes des musulmans de France. Les projets mettent des années à se concrétiser. Les règles d’urbanisme sont parfois vécues comme des contraintes supplémentaires. Et les financements ne sont pas toujours faciles à réunir.
A cet égard, vous n’ignorez pas que la loi de 1905 impose à l’Etat une abstention rigoureuse, puisqu’elle prévoit que l’Etat ne subventionne aucun culte. La religion n’est plus en France, depuis plus d’un siècle, considéré comme un service public que l’Etat prendrait en charge. Son organisation et son financement relèvent exclusivement des fidèles, ce qui est aussi pour eux un gage d’indépendance et de liberté. Mais ce principe n’exclut pas, comme vous le savez également, que les collectivités locales puisse faciliter l’aboutissement de certains projets de construction : en mettant à disposition des terrains dans le cadre de baux emphytéotiques ; en garantissant des emprunts ; ou encore en contribuant au financement de la partie culturelle de projets immobiliers à caractère mixte.
Bien des difficultés naissent sur le terrain du fait que les modalités précises d’application de ces règles ne sont pas toujours bien connues, par les responsables d’associations cultuelles mais également par les élus. Il en va de même, du reste, des règles d’urbanisme auxquels ces projets de construction sont soumis, ou encore des règles de gestion et de fiscalité applicables à ce patrimoine une fois qu’il est construit. L’Etat veillera scrupuleusement au respect de ces règles, afin que les musulmans de France puissent bénéficier de lieux de culte irréprochables sur le plan de l’architecture et de la sécurité. Réciproquement, je n’accepterai jamais que des projets de construction de lieux de culte soient bloqués par des élus au mépris du droit, ou en utilisant le droit de l’urbanisme comme un prétexte, par calcul politique.
Il ne faut donc pas que des malentendus surgissent et que des exigences légitimes, notamment en matière de sécurité, soient faussement interprétées comme des manœuvres pour bloquer tel ou tel projet. Nous avons donc besoin, sur ce sujet, de clarté et de pédagogie. J’appuie donc fortement le projet issu de l’atelier qui s’est réuni ce matin consistant à créer un groupe de travail rassemblant les responsables musulmans et ceux des autres cultes, l’Association des Maires de France, ainsi que les administrations concernées afin d’évaluer l’application de ces diverses règles. Cette initiative rejoint du reste l’une des propositions du rapport que le sénateur Hervé MAUREY a consacré au financement des lieux de cultes. Les conclusions des travaux de ce groupe mériteront d’être largement connues. Je sais que l’AMF publie à l’intention des élus locaux un guide très utile « Le Maire et les édifices cultuels » qui pourrait être actualisé. Le ministère de l’Intérieur soutiendra pour sa part la publication d’un Guide destiné aux responsables des associations cultuelles afin de répondre aux questions, souvent très concrètes, qu’ils se posent : en matière de gouvernance, de fiscalité, d’administration, de relations avec les pouvoirs publics etc. Ce ministère facilitera la diffusion de ce Guide auprès du plus grand nombre.
La question des cadres religieux, aumôniers et imams, est également au cœur des préoccupations des musulmans. Je sais que vous êtes attentifs à leur formation, à leur statut, parce que vous attendez beaucoup du service qu’ils rendent à vos communautés. Je me félicite donc de la présence de nombreux imams et aumôniers au sein de cette instance de dialogue. Leur contribution aux travaux de ce jour a été particulièrement utile. Par ailleurs, dans un contexte ou des prêcheurs de haine, très présents sur Internet, s’adressent à une jeunesse souvent ignorante des valeurs de l’Islam, il est important que des figures d’autorité morale et d’érudition soient à même de porter un autre message, conforme à un Islam de paix, un « islam de lumière » tel que l’a défini ce matin Dalil BOUBAKEUR. C’est là le souhait de beaucoup de familles, parmi celles que je rencontre et qui veulent éviter à leurs enfants le piège tragique d’un parcours de radicalisation violente, qui risque de les mener sur les chemins de l’exil, du crime et de la mort. Le même sujet concerne naturellement les aumôniers pénitentiaires, qui exercent leur mission avec beaucoup de dévouement et sont trop souvent confrontées aux menées de prêcheurs auto-proclamés, qui tentent d’enrôler leurs co-détenus dans des projets radicaux, parfois criminels.
Bien entendu, la formation théologique des imams ne regarde pas directement l’Etat. Ce n’est pas son rôle, pas plus que celui de former des prêtres, des rabbins ou des pasteurs. Mais l’Etat peut faire en sorte que soient proposées aux ministres du culte des formations appropriées dans des matières profanes : droit du culte et principes de la laïcité, histoire et sociologie des religions en France, gestion des associations cultuelles, dialogue interreligieux, etc. De tels diplômes universitaires de formation « civile et civique » sont proposés aujourd’hui dans six universités : à Paris, Lyon, Strasbourg, Montpellier, Aix-en-Provence et Bordeaux. Dans la communication que j’avais présentée devant le Conseil des Ministres le 25 février, j’avais annoncé que nous nous efforcerions de doubler ce nombre. Cet objectif est en passe d’être atteint. Je peux vous annoncer que trois formations supplémentaires seront ouvertes en septembre 2015 à Paris-Sud, Lille et Toulouse, et trois autres encore en 2016.
Le Gouvernement a décidé que cette formation sera très rapidement rendue obligatoire pour le recrutement des nouveaux aumôniers, dans les prisons, les hôpitaux et les armées. Un décret viendra bientôt formaliser cette obligation. Bien entendu, des commissions pourront juger que les candidats qui détiennent d’autres diplômes ou qui bénéficient d’une expérience appropriée seront dispensés de la nécessité d’en passer par cette formation ; mais l’essentiel est que les aumôniers soient bien armés pour répondre aux nombreuses difficultés qui peuvent se poser dans l’exercice de leur importante mission.
Dans la même perspective, la Garde des Sceaux a décidé de revaloriser fortement le statut des aumôniers pénitentiaires. Ceux-ci effectuent aujourd’hui un travail méritoire et difficile et ne bénéficient toujours pas des contreparties leur permettant de mener une existence décente. Je crois que chacun en convient. Alors que 60 nouveaux aumôniers musulmans doivent être recrutés dans toute la France, pour commencer à combler le déficit existant, nous voulons revaloriser très fortement la rémunération globale dont ils bénéficient afin d’attirer des candidats de grande qualité et de renforcer leur présence effective dans les établissements.
S’agissant des « imams détachés » qui continuent d’être affectés en France par leurs pays d’origine, nous avons ouvert des négociations avec les gouvernements algérien, marocain et turc, afin d’obtenir que ceux-ci s’engagent également à passer un diplôme de formation civile et civique à leur arrivée en France. N’étant pas Français, il est nécessaire qu’ils acquièrent une connaissance sérieuse des principes et des lois qui régissent l’exercice du culte en France. Il est également nécessaire qu’il maîtrise notre langue pour pouvoir s’adresser en France aux fidèles. Je connais bien sûr l’importance que revêt la langue arabe comme langue liturgique, comme langue d’accès aux textes sacrés de l’Islam. Mais il faut aussi que les imams puissent dialoguer avec les autorités civiles et avec leurs fidèles.
Permettez-moi de rappeler qu’il existe, pour l’Eglise de France, un canon du Concile de Tours datant de l’an 813, qui prescrivait déjà aux clercs catholiques de s’adresser aux fidèles « dans la langue des masses (« rustica lingua ») afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit. » Cela n’a pas empêché les catholiques de conserver longtemps le latin comme langue liturgique ; mais ce n’est pas une mauvaise règle que de s’adresser à des auditeurs dans une langue qu’ils puissent comprendre. Ce doit être une exigence, en tout cas, pour les imams étrangers détachés car c’est la maîtrise de la langue française qui leur permettra de jouer pleinement leur rôle social – et non pas seulement liturgique – au bénéfice de la communauté. Au demeurant, la présence de ces imams détachés se comprend historiquement en raison de la relative pénurie d’imams français et formés en France. Il n’appartient pas à l’Etat, comme je l’ai dit, de se mêler de ces formations qui sont aujourd’hui assurées par des instituts de théologie privée. Il est toutefois important que l’université française, avec ses méthodes et dans le respect des valeurs qui sont les siennes, puisse délivrer des cours de haut niveau dans des disciplines que les futurs imams pourront souhaiter étudier en complément de leur formation « confessante ». C’est pourquoi je me félicite du projet de l’université de Strasbourg, à l’initiative du Professeur Messner qui est parmi nous et que je salue, de compléter son cursus de mastère en islamologie par un cursus de licence.
L’exercice du culte, c’est encore le fait de pouvoir accomplir sans difficulté particulière les pratiques rituelles que prescrit une religion : prescriptions alimentaires (hallal), célébration des fêtes (Aïd), rites funéraires ou pèlerinages. Je sais que beaucoup de musulmans souhaiteraient voir l’Etat intervenir davantage dans l’organisation du commerce hallal. L’abattage rituel ne s’oppose pas au principe de laïcité ; bien au contraire, il est l’une des composantes de la liberté de culte. Certains imaginent toutefois que l’Etat pourrait instituer un système de taxe sur ce commerce, qui servirait ensuite à financer les besoins du culte musulman. Au risque de les décevoir je me dois de dire que cela n’est pas possible dans un régime de laïcité. L’Etat ne saurait instituer ni prélever une taxe à des fins religieuses. C’est donc aux musulmans eux-mêmes qu’il reviendrait d’établir un tel système de financement du culte, s’ils le souhaitent, non à l’Etat laïc.
Mais d’autres pratiques rituelles peuvent appeler une intervention de l’Etat, souvent en lien avec les collectivités locales. Bien des efforts sont déjà engagés en vue d’organiser des abattoirs provisoires dans les meilleures conditions à l’occasion de la fête de l’Aïd. Ils restent en nombre insuffisant et les porteurs de projets sont trop souvent découragés par la leur coût et la complexité de leur mise en place. A la suite de vos travaux, je propose donc qu’un groupe de travail rassemblant des responsables religieux, le ministère de l’agriculture et le ministère de l’Intérieur soit constitué rapidement afin d’évaluer le dispositif actuel dans sa globalité et de diffuser les bonnes pratiques qui le méritent.
S’agissant des pratiques funéraires, je comprends que les demandes de carrés confessionnels dans les cimetières ne sont pas partout également satisfaites. Cette question est amenée à prendre de l’ampleur, au fur et à mesure que vieilliront les générations de musulmans nées en France, qui aspireront naturellement à enterrer leurs défunts en France. Or dans les cimetières communaux, le regroupement de fait des sépultures de même confession est non seulement permis mais encouragé par les textes. Je souhaite donc que l’administration procède à un bilan de leur application, afin de pouvoir envisager les mesures à prendre pour assurer une meilleure mise en œuvre.
S’agissant enfin de l’organisation du pèlerinage à la Mecque, le Hadj, je tiens à saluer les efforts déjà accomplis par les agences de voyage avec le concours des administrations et qui ont déjà abouti à l’adoption d’une « Charte de qualité » pour l’organisation de ce pèlerinage. Il s'agit d'un premier pas encourageant. Néanmoins, trop de pratiques commerciales abusives ont encore cours. Trop de prestations sont d'une qualité insuffisante au regard de la réglementation française. Je souhaite donc que le travail entrepris entre la coordination des agences de voyages et les ministères des affaires étrangères, de l'économie et de l'intérieur se poursuive et aboutisse rapidement à des résultats tangibles pour les pèlerins. Je souhaite que la coordination des agences prennent toutes les dispositions pour que la satisfaction de leur clients fasse l’objet d’un audit par un organisme neutre et impartial. Les avancées de cette démarche de qualité bénéficieront à tous et feront de cette coordination un acteur incontournable.
Comme pouvez le constater, beaucoup reste à faire et la réunion d’aujourd’hui n’est donc que le commencement d’un processus. C’est la raison pour laquelle l’exercice qui nous a réunis aujourd’hui a vocation à se répéter, au moins une fois par an, dans la forme qu’il a prise. Il traduit notre souhait d’avoir un dialogue plus nourri, une méthode plus efficace associant toutes les administrations ayant en partage dans leur domaine de compétence l’un ou l’autre sujet qui vous concerne. Ainsi pourrons-nous, de façon régulière, faire le bilan des réalisations en cours, de ce qui a été fait et de ce qui reste encore à faire. Des sujets importants pour les musulmans de France, comme l’enseignement confessionnel, n’ont pas été abordé aujourd’hui. Nous continuerons donc à échanger, à dialoguer, le cas échéant à tenter d’apporter des réponses aux questions nouvelles qui pourraient surgir, en parfaite coordination avec l’action du CFCM qui garde un rôle important et central, dont je veux saluer l’actuel président, le recteur Dalil Boubakeur, ceux qui l’ont entouré et celui qui s’apprête à lui succéder, Anouar KBIBECH. Bref, l’instance de dialogue a vocation à devenir un rendez-vous régulier entre l’Etat et les représentants de l’islam de France. Ce sera également le cas des consultations préalables qui ont eu lieu dans chaque département et qui se sont révélées fort utiles et dont les participants ont souhaité le prolongement.
Bien sûr, entre chaque réunion, nous devons travailler pour faire en sorte que les différents sujets que nous avons identifiés aujourd’hui avancent et trouvent des solutions satisfaisantes. C’est là l’objectif qui doit tous nous mobiliser. Certaines questions relèvent des compétences et des prérogatives de l’Etat : pour ce qui les concerne, ne doutez pas de la détermination du Gouvernement à prendre sans tarder les mesures qui s’imposent. D’autres devront faire l’objet de groupes de travail menés en commun : je pense par exemple aux règles applicables en matière de construction et de gestion des mosquées, au régime de protection sociale des imams, ou encore à l’organisation de l’Aïd. Enfin, bien entendu, d’autres matières, qui sont, elles, strictement théologiques, ne peuvent par définition relever de l’intervention de l’Etat.
Avant que nous nous séparions, je voudrais dire un mot plus général.
On le sait peu, ou plutôt on l’oublie trop souvent, mais c’est une vieille histoire que celle de la présence des musulmans en France. Une histoire qui remonte très loin dans le temps, jusqu’au Moyen Age, notamment dans les régions du sud de notre pays. Entre Bordeaux et Narbonne, dans l’ancienne Septimanie, mais aussi en Provence, des communautés musulmanes – certes minoritaires, mais qui n’en étaient pas pour autant négligeables – ont ainsi vécu jusqu’au XIIe siècle. Je crois que nous devons tous prendre enfin conscience de cette part de notre histoire commune, dont l’islam de France est aujourd’hui l’héritier.
Souvenons-nous de l’ancienneté de la belle mosquée de Saint-Denis de la Réunion et souvenons aussi des raisons qui ont présidé à l’édification, dans les années 1920, de la Grande Mosquée de Paris. Ce symbole magnifique au cœur de la capitale fut en effet alors conçu comme un témoignage de reconnaissance à l’égard des dizaines de milliers de soldats musulmans morts pour la France entre 1914 et 1918. Faut-il également rappeler le sacrifice des soldats musulmans qui participèrent, entre 1940 et 1945, au combat national contre le nazisme et à la Libération du territoire national ? Enfin, aurions-nous oublié combien fut décisive la part prise par les immigrés venus d’Afrique du Nord, puis d’Afrique noire, dans la reconstruction du pays après la guerre et dans son développement économique au cours des « Trente Glorieuses » ?
Par le sang qu’ils ont versé, par leur labeur, par leurs talents, les Français de confession musulmane ont façonné et continuent à façonner la France – la France qui est notre bien commun. C’est en gardant toujours présentes à l’esprit cette histoire et cette réalité que nous devons poursuivre le dialogue qui nous a rassemblés aujourd’hui.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,
Vous vous apprêtez à célébrer le mois du ramadan, au cours duquel sont mis à l’honneur la famille, la prière et la compassion envers les plus pauvres.
J’aurai plaisir à accepter le plus grand nombre possible des invitations qui m’ont été adressées à venir partager avec vous, dans les mosquées de France, le moment joyeux de la rupture du jeune, dans un esprit de respect et de fraternité.
Cet esprit de respect mutuel et de fraternité qui a inspiré le dialogue qui a été le nôtre aujourd’hui et qui doit toujours être de règle dans la République.