vendredi 2 février 2018

Conversation à maton rompu...



" Mon interlocuteur a dirigé pendant plus de trente ans quelques-unes des plus grandes prisons françaises et, sous les hauts plafonds de ce club parisien très fermé, je l’écoute me parler de son expérience et me donner son sentiment sur l’état actuel de nos établissements pénitentiaires.

L’entretien commence de manière plutôt intéressante. Mon interlocuteur connait bien, et pour cause, le monde des surveillants et celui des détenus, et il voit clairement les racines de certains maux.

Il me confirme ce que je sais déjà, par d’autres sources : « La mise en danger actuelle des personnels pénitentiaires est le résultat d’une politique qui a voulu dire aux surveillants : « écoutez, ne soyez plus surveillant. Vous êtes là pour être ami avec le détenu. Le détenu est un homme comme vous. Certes, lui a peut-être tué ou volé, mais cela pourrait arriver à n’importe qui. Ne soyez pas dans le rejet. Soyez dans l’empathie. Comprenez, et fermez les yeux sur les petites transgressions. Un paquet de cigarettes qui passe en contrebande, quelle importance ? Une relation sexuelle au parloir, qui cela gêne-t-il ? Surveillants, soyez humains. »

« Lorsque je suis rentré dans la pénitentiaire », poursuit-il, « tous les surveillants avaient un uniforme, avec des galons, comme à l’armée. Il y avait de véritables dynasties de surveillants, de père en fils. Le flambeau se transmettait avec fierté. A Clairvaux, par exemple, le quartier disciplinaire était appelé la « villa Suchet », du nom de la famille de surveillants qui, depuis des temps immémoriaux, dirigeaient cette partie de l’établissement. Les surveillants, qui étaient souvent d’anciens ouvriers agricoles ou d’anciens bûcherons, avaient un métier qui les valorisait. Ils étaient fiers de porter leur uniforme. Maintenant le surveillant qui se promène dans les coursives est en pull et se distingue à peine du détenu par le vêtement. Il est souvent diplômé de l’enseignement supérieur et n’attend qu’une seule chose : réussir un autre concours de la fonction publique pour quitter ce qui est pour lui un enfer. »

Bref, on a fait honte aux surveillants d’exercer une autorité sur les détenus, et parallèlement on leur a peu à peu retiré les instruments juridiques qui leur permettaient d’exercer cette autorité.

Les résultats de cette politique « humaniste », nous la voyons tous les jours, pour peu que nous ayons des yeux pour voir : des prisons passoires, où téléphones portables, drogue, argent, armes même, circulent largement, des surveillants démoralisés et apeurés, des criminels qui vivent en prison comme à l’hôtel, selon leurs propres dires, et qui appellent les gardiens « le room service ».

Nous la voyons aussi dans l’insécurité qui monte inexorablement et dans les zones dites de non-droit qui s’étendent tel une marée fatale.

Personne ne pourra dire que notre enfer n’était pas pavé de bonnes intentions.

La conversation se poursuit quelques temps sur ce thème et sur ce ton, et puis mon interlocuteur se livre à une confidence.

« Vous savez, lorsque je suis rentré dans ce métier, je l’ai trouvé très bien, et je me suis posé des questions. Il n’y avait personne dans ma famille à exercer un métier de sécurité, et je me suis dit « mais tu es peut-être quelqu’un de pervers, sadique, pour aimer ainsi un métier où l’on fait de la coercition. Alors j’ai voulu faire une psychanalyse. »

En entendant cela, je sens comme un signal d’alarme s’allumer dans mon crâne, mais je m’efforce de n’en rien laisser paraitre. Mon interlocuteur poursuit.

« Donc j’ai fait une analyse. Pendant cinq ans. Et puis avec mon analyste nous avons décidé d’arrêter, et lorsque je suis parti il m’a demandé : « Alors, pour vous c’est quoi le métier que vous exercez ? A quoi ça sert la prison ? » Et j’ai répondu : « Ca sert à donner du travail à des gens ». »

Fort heureusement mon interlocuteur ne remarque pas qu’à ce moment précis mes yeux viennent de sortir de ma tête et de tomber sur le plancher, où ils ont rejoint mes bras. Il continue :

« C’était ma position. Et ça l’est toujours. La prison ça sert à donner du travail à des populations qui sont éloignées de l’emploi, et à tout un tas de gens qui gravitent autour de la prison, toute une économie... Si la prison n’existait plus il y aurait une perte d’emploi énorme… mais sur le sens de la peine, pour le détenu et pour le gardien, j’avoue que je ne répondrais rien… »

Après cette fantastique déclaration, faite, j’en suis convaincu, en toute sincérité, la conversation se poursuivra longuement mais, d’une certaine manière, je n’écoute plus vraiment. Tout a été dit.

Certes, nul ne peut prétendre connaitre parfaitement ce qu’il y a dans le cœur d’autrui – et lui-même le connait-il ? – mais en réfléchissant à cette rencontre, en un sens très instructive, je me dis que j’ai été là en présence d’un cas presque pur de clivage mental, induit par certains tabous intellectuels.

Voilà en effet une personne point sotte, qui a eu plus de trente ans pour s’imprégner de certaines réalités élémentaires. Une personne qui sait que les détenus qui peuplent les prisons y sont très, très rarement par hasard. Une personne qui a côtoyé des brutes, des pervers, des méchants, et même quelques véritables monstres. Une personne qui sait très exactement comment une prison doit fonctionner si l’on ne veut pas qu’elle ressemble à la nef des fous. Mais une personne qui, malgré tout cela, est incapable de comprendre à QUOI sert une prison. Réellement incapable.

Parce qu’une prison, d’abord et avant tout, sert à punir. A châtier. A faire souffrir ceux qui ont mal agi. Parce que c’est ce que mérite leur mauvaise action. Un châtiment.

Elle sert aussi, bien sûr, à neutraliser les criminels et à protéger les innocents. Elle peut aussi, dans le meilleur des cas, servir à réinsérer le condamné. Mais sa fonction essentielle, et qui conditionne toutes les autres, c’est de châtier.

Un enfant de dix ans comprendrait cela. Mais une personne intelligente, ayant fait des études, est réellement capable de ne pas le comprendre, parce que, étant intelligente et ayant fait des études, elle a intégré cette idée perverse et presque contre nature que châtier, c’est très mal. Qu’il ne faut pas faire souffrir les criminels. Que c’est de la vengeance, de la barbarie, les heures les plus sombres de notre histoire, et autres choses du même genre.

Mon interlocuteur voyait très bien que l’on avait fait honte aux surveillants d’être, en quelque sorte, le bras séculier de la justice, d’être ceux qui administrent la punition prononcée par les tribunaux. Mais il n’avait pas compris – et à son âge ne comprendra sans doute jamais – qu’il avait été soumis exactement au même processus. Au même lavage de cerveau.

Savoir, et ne pas comprendre. Il y a là, pour moi, quelque chose d’inépuisablement fascinant.

Quand à l’origine de la crise profonde dont souffrent nos établissements pénitentiaires, mon interlocuteur m’avait donné une réponse bien meilleure que tout ce qu’il pouvait soupçonner."

Propos rapportés par Aristide Renou.


D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@yahoo.fr

23 commentaires:

  1. Très beau texte, mais complètement ahurissant. Ces cinquante dernières années ont vraiment laminées tout ce qui faisait que nous ne marchions pas encore sur la tête...
    On en sortira pas....

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  2. Excellent texte, on ne peut plus éclairant. En filigrane, on voit très bien les grandes lignes du "plan prisons" qu'il aurait fallu mettre en oeuvre depuis des décennies!!!
    Et pour paraphraser Corto: "Il fallait que cela soit dit!" :-)

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    1. Brintox: et rien n a été fait bien au contraire. tu noteras quue quand il y a grève a la pénitentiaire, je n'ai jamais entendu les grévistes demander une reflexion de fond sur leur métier...

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  3. Le poisson commence à pourrir par la tête, ensuite la corruption gangrène le reste du corps. Il en va de même pour le corps social, lorsque les évidences entérinées par des siècles d'expérience disparaissent au nom de lubie qui se veulent modernes et qui ne sont que néant.

    Le Nain

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    1. Pires que modernes. Ces lubies-là se veulent "progressistes".
      Voilà encore un mot qui me colle des eczémas géants

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  4. Condamner à une peine de prison c' est à la fois châtier et protéger l' ensemble de la société.La vouloir rédemptrice est louable, cela veut dire que même avec le pire d' entre nous il y a de l' espoir. C' est chrétien, ça nous colle à la peau. Mais un bon chrétien n' est pas laxiste.
    Les politiciens dans cette affaire ont "agi" avec la plus vigoureuse hypocrisie, le pseudo humanisme de gauche est tellement moins coûteux à court terme que de rénover et construire des places de prison. Sous des prétextes humanistes, ils ont édulcoré les peines pour pallier l' insalubrité grandissante des lieux, la densité carcérale et la radicalisation religieuse. On peut même résumer l' affaire par un mépris absolument ignoble adressé aux professionnels pénitenciers autant qu' aux condamnés.
    Une nouvelle preuve que les bons sentiments socialistes obtiennent les effets inverses que ceux escomptés, à savoir de plus en plus de violence et des détenus qui la plupart du temps ressortent plus tarés qu' en entrant.
    Franchement, que la police n' hésite plus à flinguer, que le pouvoir et les médias soient discrets avec cette politique, ça fera des économies et entre nous un tas de gens étrangers à ce pays ne méritent pas d' autre traitement.

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    1. Stéphane: "Franchement.... traitement ", c'est pas la transparence, ça ! :)

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  5. Il faut voir " Un Prophète"...

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  6. Dans mon esprit, la prison doit servir à deux choses:
    -réparation du tort fait à la victime et du préjudice subi.
    - mise hors d'état de nuire,pour la préservation et la sûreté de la société.
    Le reste n'est que foutaise...

    Vendémiaire.

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  7. Géo

    Comment concevoir les gardiens de prison autrement qu en uniforme,avec une hiérarchie stricte?
    Et les délinquants emprisonnés autrement qu'en plusieurs catégories et non pas interchangeables dans la compréhension que l on peut avoir envers eux et qui en réalité n est que de la faiblesse quant appliquée sans discernement.
    C est à dire que suite à considérations concrètes qui dépasseraient le cadre de ce blog,il y a des êtres qui dés la naissance,sont bien plus prédisposés à nuire à autrui que la moyenne des humains.
    Les circonstances,pour ceux là,sont des déclencheurs mais pas déterminantes car elles ne font que mettre en mouvement ce qui était déjà inscrit en eux.
    Alors que faire?
    Entre la peine de mort et la réclusion à vie il n y a guère de choix très large pour les pires,tant que l avancée des connaissances n aura pas permis,par exemple,de contrôler les influx nerveux qui modifieraient ces tendances irrépressibles tapies en certains plus que chez les autres.
    Ce qui supposerait une évolution de notre condition qui n est pas encore à notre portée du fait qu'à notre stade évolutif actuel ce qui est découvert par des pionniers de la recherche est de suite utilisé pour manipuler et dominer et non pas pour améliorer la condition humaine.

    Donc,en attendant l émergence d une possible société où notre conception,notre regard sur ces gens pourrait être totalement différents du fait que nous aurions une compréhension profonde des influx en cause,(une société où les gens cesseraient de se comporter comme des singes quand face à des pots de nutella par exemple)
    il est à mon sens impossible de traiter le problème de la prison et celui de la violence injuste et malsaine exercée sur autrui autrement que par les moyens traditionnels,c est à dire la mise à l écart des sujets et les sanctions appliquées selon leur degré de nuisance et de dangerosité,
    là où les réflexes conditionnés ne donnent pas envie de récidiver pour la grande majorité d entre eux.
    Quant aux plus dangereux,ce devrait être:"tant pis pour eux" et non pas,comme à l heure actuelle en Occident:"tant pis pour leurs futures victimes"

    Être gardien de prison juste pour ne pas être au chômage est une marque de dégénérescence dans une profession où les gens ont perdu à ce qui semble bien la notion de service,le rôle de protection de la population qu'ils partagent avec la Police et l importance de leur existence dont ils devraient être fiers et non pas honteux.
    Le métier de surveillant pénitentiaire est un métier irremplaçable il serait temps de le leur rappeler au lieu de les culpabiliser à tort,ce qui prouve encore que les plus grands criminels ne sont pas toujours en prison,il y a des politiques,des gens dans des associations et des individus ayant voix dans les médias,ou possédant ces médias,qui sont de dangereux criminels de par les idéologies malfaisantes qu'ils diffusent dans les esprits.

    Si,à l image de ce "maton",les médecins embrassent leur profession "pour ne pas être au chômage", et idem pour les travailleurs des métiers les plus risqués,les plus sensibles,c est la fin de toute civilisation digne de ce nom.

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  8. Ne dirait-on pas, mon cher Ccorto, que les dernières émeutes de Calais viennent illustrer ce qu'il en advient de l'État de droit quand l'État renonce à faire appliquer la loi, au besoin par la force ? C'est l'anarchie !

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  9. "je n'ai jamais entendu les grévistes demander une réflexion de fond sur leur métier..."
    Il y a peut être une explication à chercher du coté des syndicats...
    Les matons de base ont-ils le droit de s'exprimer ou à l'instar de la police, seuls les syndicalistes peuvent le faire ? Et comme souvent, dans ce cas, le syndicat est une courroie de transmission de la hiérarchie...
    Amike

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  10. Lewis, C. S. (1987) " The Humanitarian Theory of Punishment"

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  11. Hors-sujet, mais je ne peux résister à l'envie de partager : "C’est une technique d’interrogatoire inventée il y a plus de 20 ans par un ancien policier québécois qui a récemment permis de résoudre le meurtre d'Alexia": http://www.journaldemontreal.com/2018/02/02/un-crime-resolu-grace-a-un-quebecois
    Myrto303
    Le meurtre d'ale

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  12. L'idéologie soixante-huitarde continue, cinquante ans après, à faire de terribles ravages, et pas seulement dans le monde pénitentiaire.
    Le ministre de l'Education Nationale vient de reconnaitre qu'à Toulouse, au lycée Galliéni, les élèves-délinquants "faisaient la loi". Il faut croire que c'est assez chaud puisque 60% des professeurs viennent d'exercer leur droit de retrait. Pourtant, dans leur appel syndical au Rectorat, ces mêmes profs précisent qu'ils ne veulent surtout pas stigmatiser leurs élèves.
    "Pas stigmatiser"...tout est dit.

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    1. Géo

      Il est question de femmes molestées selon la façon dont elles sont habillées,des éléments extérieurs au lycée entrent semer la zizanie pendant les cours,de la drogue circule et s échange,des élèves "radicalisés",comme on dit pudiquement de nos jours,viennent aux cours avec un bracelet électronique et plusieurs élèves ont déjà un parcours délinquant impressionnant pour leur âge,je crois que des professeurs ont été menacés puis frappés...
      C'est ce qui est relaté dans le bilan de la situation,lu sur un article de La Dépêche qui trainait sur un bureau.
      Après tout,si les profs en redemandent c est donc qu'ils aiment ça malgré leurs plaintes,alors pourquoi les en priver?

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    2. Pas stigmatiser? Déjà ça devrait commencer par leur mettre une branlée monumentale à ces racailles et les envoyer à Cayenne avec des gros méchants qui pourraient leur montrer ce qui est arrivé à Théo. ça les calmerait peut être ces raclures.
      Ne pas oublier les familles responsables de la dérive de leurs merdeux

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  13. Nos ancêtres avaient plus de bon sens, en ne se posant pas pleine de questions à la con qui semblent obnubiler et émasculer beaucoup de monde aujourd'hui.

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  14. En tant que femme, je me suis fait allumer pour les choses suivantes:

    - On ne peut pas prendre une pause-carrière pour élever son enfant car c'est céder à la vilaine patriarchie
    - On ne peut pas se dire anti néo-féministe sans être une traitresse à la cause
    - On ne peut pas dire qu'une actrice qui va volontairement dans la chambre, le sauna, la salle de bain etc...d'un producteur connu cherche un peu les ennuis et n'est pas vraiment une victime
    - On ne peut pas dire que le mouvement #balancetonporc est une chasse aux sorcières
    - On ne peut pas dire que des hurluberlus comme les Pussy Riot ne sont en rien des activistes, mais des délinquantes dont la place est en prison
    - On ne peut pas dire qu'un embryon humain est une vie en devenir et pas un amas de cellules

    Je suis sûre que j'en oublie.

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  15. Ce métier est nécessaire mais il est exercé par des médiocres car sinon ils choisiraient un autre métier.
    Si votre petit garçon vous dit que plus tard il fera gardien de prison, je vous invite à prendre rendez-vous chez un pédo-psychiatre.

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France, 2019.