Il m'a fallu ce matin amener l'ancien à la messe. Et bien oui, quoi, le 11 novembre, il n y a qu'à Paris, à l'Arc de Triomphe, là où Président parade, qu'il n'y a pas de messe pour commémorer l'armistice et célébrer les anciens combattants. Ainsi donc l'ancien s'habiller, mettre LA cravate et s'en aller à la messe.
Nous y arrivons un peu à l'avance. Déjà pas mal de monde pour une petite ville comme celle-ci. Entre cent et deux cents personnes ainsi que quelques notables, des représentants de la municipalité, des pompiers, de la gendarmerie et de la police. A l'extérieur, un cortège se met en place, ils rentreront ensemble, au pas, tous derrière le curé, tous derrière les porte-drapeaux, une dizaine de porte-drapeaux, douze pour être précis. L'ancien ne souhaitant pas " défiler ", nous sommes rentrés avant et je l'ai assis au premier rang ce qui nous valut aussitôt remontrance de la part d'un supposé organisateur qui visiblement n'avait pas remarqué LA cravate: les premiers rangs, c'est pour les anciens combattants... Nous nous exécutons, un brin rigolards et nous nous rétrogradons au quatrième rang. L'orgue se met à résonner, la procession débute avec solennité. Remontent donc du fond de l'église, goupillon et sabres. Avec un respect non feint, l'assistance se lève et regarde passer ces anciens. Arrivés au bout de l'allée, le curé prend place sur son super siège tandis que les porte-drapeaux se placent de chaque côté de l'autel, là où j'imagine autrefois devaient s’asseoir tous les curés et enfants de chœur du coin. Les drapeaux sont mis au pied.
J'observe ces porte-drapeaux et ces anciens assis devant moi. Certes pas un n'a fait la Grande Guerre, le dernier poilu est mort il y a quelques années, mais aux insignes, aux décorations et aux drapeaux, je devine la seconde guerre, l'Indochine et l'Algérie. Certains semblent figés dans l'âge: vieux. D'autres la portent encore belle. Mais tous sont droits comme des piquets, visiblement fiers de ce qu'ils ont fait, de ce qu'ils furent et de ce qu'ils sont encore: des témoins, des acteurs et aujourd'hui des porteurs de mémoire. La mémoire des atrocités commises, des combats, des sacrifices et du sang versé, par eux ou par d'autres: des amis, des frères d'armes et bien plus nombreux encore des soldats qu'ils n'ont jamais connu mais qui ont partagé les mêmes affres, les combats et la mitraille, les blessures, la déportation ou les camps de prisonniers, trop souvent la mort. Ils exhibent fièrement leurs décorations. Certains n'en ont qu'une ou deux, d'autres une dizaine, un ou deux portent même de sacrés placards. Autant de témoignages, pour qui a l’œil et sait un peu, de ce qu'ils ont fait et vécu. Voilà des gens pour qui les " hochets " de la patrie reconnaissante ont encore de l'importance. Ils portent avec fierté, avec élégance et personne ici n'oserait s'en amuser.
Le messe commence avec au préalable une petite allocution d'un officiel du coin pour remercier l'église de lui ouvrir ses portes en ce jour de mémoire. Le curé en personne cette année fait son office. Il a mis les beaux habits d'après ce que je comprends, pas ceux des dimanches ordinaires, il a mis ceux de Noël, de Pâques ou de 15 août. Et la messe se dérouler. Les gens se levant quand il faut se lever, s'asseyant quand il le faut. Seuls les vieux porte-drapeaux resteront debout tout le temps. Lectures, évangile puis homélie. Une homélie dite sans notes, intelligente toute basée sur la mémoire, l'espérance de paix et la lumière.
Vient le moment de la consécration, là où le curé lève tout à tour le calice et le ciboire, là où les personnes présentes, au son de la clochette secouée par l'enfant de chœur, doivent elles baisser la tête ou le corps en signe de respect, j'imagine. Et ce qui m'a semblé comme une merveilleuse image: celle des porte-drapeaux ayant remis en place les drapeaux pour mieux, solennellement, les abaisser couvrant ainsi de leur hauteur l'autel, un peu comme si la Nation, la France, reconnaissait aussi, tout en la protégeant de ses trois couleurs, cette " religiosité "; nos racines chrétiennes, dira-t-on aujourd'hui. La laïcité républicaine et citoyenne n'a pas sa place en ces lieux.
La cérémonie se conclue et la procession vers la sortie se met en route non sans que le curé ait remercié l'assistance pour sa présence et les anciens combattants pour ce qu'ils sont et ce qu'ils représentent, sans omettre de demander aux jeunes de porter le souvenir... Juste avant l'ite missa est, le président de l'association locale des anciens combattants remerciera ce nouveau curé, un béninois tout noir, pour avoir bien voulu célébrer cette messe. Il est vrai que l'ancien, un curé tout blanc, parti il y a 3 mois ailleurs, n'avait jamais pris , en six ans de présence, le soin de bien vouloir célébrer cette messe du 11 novembre...
Dans une dizaine d'année, il n'y aura plus aucun de ces vieux soldats de ce 11 novembre 2015. Qui portera le souvenir et la mémoire de ceux qui ont tant donné à leur pays ?
J'ai ramené l'ancien, il était tout content. Moi aussi.
Dans ses yeux, il y a de la souffrance,
ça ne se voit pas.
Dans son cœur, il y a de la vaillance,
ça ne s'entend pas.
Ses bras ont perdu leur puissance,
mais il est toujours là,
prêt à se lever pour la France,
le vieux soldat.
Ça lui fait mal, il l'a mauvaise,
lorsque l'on siffle la Marseillaise.
Ça lui fait mal, voir son pays livré au mépris,
il en est meurtri.
Le respect, il veut du respect,
juste du respect, le respect.
Les symboles ont de l'importance,
pour cet homme là.
La vision de toutes les offenses
fait du dégât.
Il faut dire que ça n'arrive qu'en France,
toutes ces souffrances, là.
Il vient défier l'irrévérence,
le vieux soldat.
( Le vieux soldat, Jean-Pax Mefret )
Folie passagère 2967.
D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@voila.fr
Magnifique billet , mon cher Corto ! Permettez-moi d'embrasser votre père pour tout ce qu'il a été, et est encore.
RépondreSupprimer@marianne: il n'est qu un parmi d autres, d'autres de moins en moins nombreux...
SupprimerMerci.
RépondreSupprimer@Gilly: de rien !
SupprimerBonjour, ' qui portera le souvenir et la mémoire'...(?)
RépondreSupprimerIl y a une heure, à Granville ou j'habite, une bande de merdeux étaint juchés sur le monuments aux morts au dessus des gerbes de fleurs, en train de faire des selfies...Plein d'adultes autours en train de déambuler, l'air goguenard...
J'ai la réponse à la question ci-dessus : PERSONNE...
Matador
@matador: je t aurais mis un grand coup de pied au cul de cette racaille, vite fait. C'est ça le problème: le manque de respect et la démission de ceux qui sont chargés de l enseigner.
SupprimerBonsoir Corto,
RépondreSupprimerTrès beau billet. Tous les 11 novembre, j'essaie d'imaginer ce qu'a été cette journée en 1918. L'armistice étant entré en vigueur à 11h00, jusqu'à cette heure, les armes ont continué à tonner avec plus ou moins d'amplitude suivant les lieux. J'essaie de voir les soldats, préparés dès la veille à une nouvelle journée de combat, apprenant la nouvelle et se disant: "Ça y est, c'est fini!!!".
Bruno Cabanes a consacré un ouvrage "La victoire endeuillée" (L'Univers historique au Seuil: https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Cabanes) à cette période et à la démobilisation qui a suivie. D'après ses dires, et je l'ai lu mentionné par d'autres auteurs, sur le Front, ça n'a pas été l'explosion de joie qu'on espère, 100 ans après, l'épreuve ayant été trop dure, trop inhumaine. A de rares exceptions et en dehors du huis-clos familial, les témoins se sont tu et on gardé pour eux et leurs camarades d'infortune les sentiments qui les habitaient, l'incompréhension étant trop forte entre l'arrière et l'avant. Par contre, l'auteur souligne le ressenti assez fort envers les allemands et l'envie de leur faire payer au prix fort les 4 années de boue et d'horreur.
Personnellement, j'ai beaucoup de mal à aller lors de ces commémorations devant les monuments. Non pas que les évènements mentionnés m'indiffèrent, bien au contraire, mais je ne peux plus assister aux ballets des faux-culs qui se rappellent, soudainement, que des gens sont morts sur les ordres de leurs prédécesseurs. et qui viennent leur serrer les mains avec le sourire et l'air grave de circonstance. Quand on voit ce qu'ils ont fait de l'outil militaire, on ne peut plus leur accorder beaucoup de crédit. Ceci dit, ta messe m'aurait plu car en introduisant une dimension spirituelle à cet évènement, elle lui ôte le côté matérialiste insupportable qui en est la triste réalité.
Bonne soirée
@H: les politiciens d aujourd'hui se doivent de rendre hommage a ceux qui sont morts pour la France. Ils le font et on les critique et je comprends fort bien ce que tu dis, ils ne le font pas et on les critiquerait aussi. Alors ? Il reste un ressort: une messe comme celle de ce matin où là, il n y avait pas de politicailleries.
Supprimer100 ans après... 61 ans après pour DBP, j en connais qui racontent ce qu ils ont vécu. 50 ans après pour l Algérie, je n en connais aucun.
Très beau billet , on sent l'agnostique qui a un respect , avec un grand R , pour son père ,de ce qu'il a fait et la foi dans la patrie avec l'amertume de ce qui risque de disparaitre " le souvenir" .
RépondreSupprimer@Claude Henri: pas seulement pour mon père, il n est qu'un parmi d autres même si il a morflé. Et comment ne pourrait-on pas avoir de respect pour ces gens-là ?
Supprimeranne : un grand merci, corto...respect à votre ancien.
RépondreSupprimerj'étais à un bout de commémoration devant un monument au morts ( car je ne tenais pas trop debout ) : silence respectueux. J'ai failli dire " amen" à la fin du discours... meme ambiance que dans une église , bizarrement.
@anne: dans une petite ville ou un village, là où les considérations politiques passent au second plan, j imagine. Me trompe-je ?
Supprimeroui, collioures...anne
Supprimerquelques pompiers, quelques militaires basés à collioures, où il y a un centre d'entrainement commando, quelques uniformes que je ne connaissais pas. les anciens, les officiels avec leur écharpe,les porte drapeaux..
Supprimerentendu un bout de discours sur la grande guerre.. émotion de ma part car je viens de la marne qui est couverte de cimetiéres....
je ne sais s'il y avait une messe avant.. ( nous n'avons plus tellement de pretres non plus.. )
anne
Merci Corto de ce beau billet
RépondreSupprimer@Boutfil: de rien, mon amie ! a samedi !
SupprimerMerci pour ce billet, Corto.
RépondreSupprimerToutes mes amitiés à cet Ancien qui vous est si cher.
La mémoire, l’espérance de paix et la lumière citées dans l’homélie de ce prêtre béninois voilà certainement les ingrédients d’un monde meilleur.
Amitiés du sud.
@Lou Sétori: les ingrédients d un monde meilleur pour peu que celui-ci soit débarrassé de la folie des hommes
SupprimerAmitiés du nord en retour
La chanson de Jean-Pax Mefret se passe de commentaire. Elle mériterait d'être passée dans toutes les écoles de France.
RépondreSupprimer@H: Mefret est un chanteur à part et toutes ses chansons sont dans ce style. Il a une particularité: Comme dis à Claude Henri, il fait salle comble partout où il passe, y compris à l'Olympia, mais jamais une télé ne l invite. Etrange, non ?
Supprimer@Fredi M: un commentaire a disparu ? c'est parfois ce qui arrive, bizarrement, quand ils sont sans intérêt.
RépondreSupprimerTrès beau billet. J'ai vécu la même chose ce matin dans ma petite ville : cérémonie religieuse empreinte de solennité et suivie avec recueillement, avec la présence de 8 porte-drapeaux, les anciens combattants, les pompiers, les gendarmes, la municipalité et une assistance assez nombreuse (mais pas toute jeune). Je regrette l'absence d'enfants et de jeunes. Néanmoins, quelques écoliers (une douzaine) et leurs enseignants étaient là pour la cérémonie au monument aux morts qui a suivi...
RépondreSupprimerTrès beau billet. J'ai vécu la même chose ce matin dans ma petite ville : cérémonie religieuse empreinte de solennité et suivie avec recueillement, avec la présence de 8 porte-drapeaux, les anciens combattants, les pompiers, les gendarmes, la municipalité et une assistance assez nombreuse (mais pas toute jeune). Je regrette l'absence d'enfants et de jeunes. Néanmoins, quelques écoliers (une douzaine) et leurs enseignants étaient là pour la cérémonie au monument aux morts qui a suivi...
RépondreSupprimerRespects a tous ces hommes er femmes qui se sont battus pour notre liberté, malheureusement des faquins ont vendu notre sol aux plus offrants pour garder leur privilèges de bourgeois honteux.
RépondreSupprimerJ'écrirais bien un "Vive le Roi" même si je ne suis pas monarchiste.
Billet émouvant.
@ Fredi M.
RépondreSupprimerUn homme qui accompagne son père - un vieux soldat - à la messe pour commémorer le souvenir de ses compagnons morts pour la France, c'est ce que vous appelez "trop de grandiloquence" ? Libre à vous. Mais qui vous a demandé de porter ce texte au pinacle ?
Beau billet, en ce qui me concerne j'ai trouvé un siècle plus tard le lieu d'enterrement de mon grand père paternel décédé le 20 juin 1915 et en même temps celui d'un autre membre de la famille décédé en novembre lors de la baitaille de la Somme !
RépondreSupprimerRespect.
Quand j'étais petite, il y avait une quête à l'entrée du cimetière, pour l'entretien des tombes des soldats.
RépondreSupprimerTrès bel hommage, Corto.
Merci.