mercredi 6 juin 2018

La gare de mon enfance

Autrefois, et il n'y a plus personne pour s'en souvenir, nous avions cette vieille gare. Une gare d'autrefois comme tant d'autres... avec un garde-barrière chef de gare, sa femme, ses enfants et le potager attenant. Des billets, il ne devait pas en vendre beaucoup et sans doute n'y avait-il pas plus de 3 ou 4 trains par jour. Ils venaient de Paris ou de Pontoise et ils allaient sur Creil... à la vapeur !


Puis la vieille gare fut rénovée dans les années 60 et devint une gare assez moderne pour l'époque, plutôt charmante, presque mignonnette. D'un côté la petite ville qui alors ne comptait pas plus de 3 000 habitants lorsque nous nous sommes installés en 1974 et de l'autre des champs à perte vue et au loin l'Oise. La gare de mon enfance, la gare de mon adolescence, la gare où je prenais le train pour aller au collège puis au lycée, la gare de départ vers mes premières escapades parisiennes et mes premiers rendez-vous secrets. La gare d'où je partis pour aller servir mon pays pendant deux ans dans la Coloniale. Je me souviens que ma maman, m'y déposant ce jour-là, eut cette réflexion qu'aucun jeune d'aujourd'hui n'entendra plus: "Tu verras, quand tu reviendras, tu seras un homme mon fils".

Le garde-barrière disparu, il fut remplacé par un couple. Elle, assez désagréable pour autant que je m'en souvienne, vendait les billets quand elle avait le temps. Elle ne disait jamais bonjour aux jeunes mais elle nous avait à l’œil. Son mari travaillait ailleurs. Leur fils, une vraie teigne avec qui, au collège, je me prenais le chou régulièrement.

A l'époque, les trains, c'étaient les vieux gris tout en alu. On pouvait fumer, les gens causaient entre eux; certains, les habitués, considéraient même avoir leur place attitrée; gare à qui la piquait. L'ambiance était conviviale, les téléphones portables n'existaient pas: on lisait, on discutait, on jouait aux cartes, on regardait le paysage et... on arrivait à destination. Généralement à l'heure.

Que d'heures passées sur les quais de cette gare à patienter dans le froid l'hiver, sous le cagna l'été. Les premiers et horribles boutons d'acné, les premiers jeans, les premières clopes, les premiers amours, les premières virées... la gare de mon enfance, de mon adolescence et de mon début de vie d'adulte.


Alors quel ne fut pas le choc lorsqu'il y a quelque mois j'appris qu'elle allait être détruite. Il semble plus rationnel et moins coûteux de raser que de rénover ou de maintenir en activité certains métiers... N'ayant pas vu les plans, je m'imaginais qu'ils allaient construire une nouvelle gare moderne et tout et tout. Ben non ! A la place de ma vieille gare qu'ils ont rasé sans scrupule, ils ont construit un mur en béton tout con, tout moche. A la place de l'acariâtre vendeuse de billets, ils ont mis un distributeur automatique tout aussi con. Et de l'autre côte de ce mur tout moche, ils ont construit un enclos encore plus con parce qu'on ne voit absolument pas à quoi il peut servir, enclos ceinturé de grilles vertes... Le tout pour un budget de 200 000 euros. (Photos ci-dessous prises cet après-midi)


 


Ma vieille gare n'est plus, elle a été remplacée par un simple mur sur lequel sera peint le nom de la ville de mon enfance. La modernité et le progrès sont sans pitié avec nos souvenirs.



D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@yahoo.fr

38 commentaires:

  1. Notre charmant pays est en période de solde.
    Tout doit disparaître, disparaître, disparaître.
    Estimez vous heureux Corto d'avoir encore un train qui passe et qui s'arrête.
    De moins en moins souvent jusqu'à liquidation totale.

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    1. Un dragon: tout doit disparaître ! c'est à peu près ça !

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  2. Nostalgie quand tu nous tiens . Hier j'ai vu ma gare à la télé (inondations), enfin ce qu'il en reste vu que je ne l'ai pas reconnu , elle ressemblait à la tienne .

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    1. claude Henri: la mienne est définitivement R.I.P. et pourtant a ma connaissance elle n a jamais été inondée :)

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  3. La laideur envahit sous différentes formes inexorablement nos vies, je le constate aussi chaque jour...

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    1. Le socialisme produit toujours de la laideur. C'est pour ça que les touristes préfèrent passer leurs vacances à Venise plutôt qu'à Sarcelles.

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    2. La laideur, c'est la beauté et la beauté, c'est la laideur.

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    3. Pharamond: mais pourquoi produisons nous autant de laideur, nous, enfin nos anciens, qui ont tant fait le beau ?

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    4. Difficile d'y répondre, mais je crois distinguer une volonté de rompre avec l'ordre ancien et le style européen afin de créer un homme nouveau coupé de ces racines et relativiste dans ces préférences esthétiques.

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    5. vieille lune : l'homme nouveau

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    6. Plus besoin d'en parler puisqu'il est déjà là. Pas un homme particulièrement exceptionnel, mais complètement docile et malléable.

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  4. Je me souviens m'être promené dans ce qui est aujourd'hui une "cité" plutôt mal famée où poussait le blé et le maïs.

    Fugit irreparabile tempus.

    Le Nain

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  5. On détruit un espace de convivialité pour le remplacer par un mur et des barreaux .....tout un symbole des temps présents.....

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    1. dieter: notre époque, triste époque

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    2. @corto comme Delon je vomi mon époque
      J'avais la même réflexion quand je suis retourné dans mon village d'enfance.
      Destruction de la France programmée. 😞

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  6. marianne ARNAUD6 juin 2018, 19:01:00

    Cette disparition de la gare de votre enfance, mon cher Corto, me fait penser que parfois je me demande combien de temps d'absence il faut pour qu'une personne ne se reconnaisse plus dans un lieu qu'elle a quitté ? Je me suis laissé dire qu'il ne faudrait pas plus de cinquante ans pour qu'une grande ville désertée, n'ait disparu et soit retournée à la nature sauvage.
    Cela peut commencer par la gare, et tout le reste peut suivre.

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    1. Marianne: 50 ans, c'est si court par rapport a tout ce temps qu il a fallu pour construire, en fait l homme serait-il plus doué pour détruire que pour construire ?

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    2. La réponse est bonne... mais pas la question, me semble-t-il !
      Il me semble que la bonne question était posée par FX Bellamy dans son livre "les déshérités" : "Combien de temps conserverons-nous la mémoire de l’importance de ce qui a été perdu ?"
      La difféence avec votre question est fine, mais cruciale ! Je sais, elle flirte avec les "complotistes" du genre Pharamond, pfff ;-)

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  7. Anne : je ne comprends pas : meme pas un "toit" pour abriter ceux qui attendent ? et l'enclos derriere le mur ? c'est pour les futurs moutons? 200 000 euros pour un mur avec un distributeur de billet?
    j'aimais bien les vieilles gares. D'ailleurs mon grand pére était chef de gare et sa femme tenait la billeterie, dans l'est... puis ils sont revenus dans la marne pour la retraite. Il se savait et j'ignore comment, parmis les conducteurs de train que le " vieux " en bleu de travail et beret noir, qui binait son champ, au bord de la voie ferrée à tel endroit, avait fait partie de la " maison"... donc quand un train passait, il klaxonnait.. et cela 20 ans aprés que le grand pére soit en retraite... le grand pére faisait un grand geste du bras en retour.... je trouvais cela sympa comme tout.. rendez vous compte, le train nous " sifflair spécialement, pour nous dire " bonjour"( et j'imaginais que les passagers se demandaient pourquoi le train sifflait en passant devant le champ ) :-)

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    1. Anne, j'aime vraiment beaucoup votre récit. C'est ce qui fait la belle vie !
      Amicalement
      Madame Chocolat

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    2. Anne: le train sifflait pour saluer... Autre temps autres moeurs, hélas.
      Et non, à priori même pas un abri pour les voyageurs

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  8. Cher Corto, comme je comprends.
    La gare de la petite ville où je rejoignais mes parents, venant de Paris, le vendredi soir, puis retour souvent avec les mêmes, le dimanche soir... a disparu aussi.
    Elle avait des allures de gare pour station balnéaire, avec des pins maritimes devant sa façade.
    Ma mère attendait à la barrière à côté, et je guettais son sourire.
    Quelquefois, Jess Hahn débarquait aussi.
    Un jour, il y a quelques années, on nous a dit que nous aurions une gare TGV "moderne " et que les pins maritimes resteraient.
    Ah oui ! j'ai vu leur destruction, et à côté de nous, un vieux monsieur pleurait.
    Les employés et nous, c'était pas tout à fait une amitié, mais cela y ressemblait. En prenant les billets, on demandait des nouvelles des uns et des autres.
    Complètement déshumanisée, la gare TGV.
    ( L'ancienne gare aux pins, vous pouvez l'apercevoir dans un film de Claude Chabrol, qu'il a situé dans les environs de Saint-Coulomb. Jacqueline Bisset vient accueillir la nouvelle bonne ( pardon ! )Sandrine Bonnaire qui, avec Isabelle Huppert, fera la paire pour les mener odieusement de vie à trépas ).
    Bonne soirée tout le monde

    Et comme disait Blaise Cendrars, à peu près, " le Transsibérien, je vous l'ai fait prendre à tous "!
    Madame Chocolat

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    1. Madame Chocolat ! ah, Jess Hahn, qui s'en souvient, je l aimais bien celui là avec son accent british-irlandais dans Bob Morane !

      Le transibérien ou l Orient Express, j en rêve depuis si longtemps...

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  9. Le progrès , le progrès vous dis je !

    le modernisme n'est pas toujours le progrès

    Il est si beau ce mur que s'en est une invitation à pisser dessus ou à " taguer "

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    1. balerofr: les tagueurs ne sont pas fous, ils attendront qu il soit fini pour le taguer ! ce qui adviendra rapidement je n en doute pas

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  10. Géo

    On gaspille deux cent mille euros à ériger un gros étron plutôt que dépenser quelques centaines de milliers d'euros supplémentaires à restaurer le patrimoine.
    À voir l aspect du mur de la honte en béton il est clair qu'il faudra le réparer bien plus vite que la gare et que cela coûtera.Matériau qui vieillit mal.Aussitôt érigé l ensemble fait déjà moche et vétuste.

    Mauvais calcul financier à mon avis et sans compter l absence totale d âme et la dégradation du patrimoine environnant du fait du mur de la honte à deux cent mille euros jetés dans les poubelles de l Histoire,
    et lui,planté comme une moisissure sombre en un lieu où il n a rien à faire sinon souiller la vue des riverains et attirer,de par son aspect,l errance et les dégradations.La zone aime bien ce genre d endroit pour venir y picoler brailler et déféquer la nuit tombée.
    Ce n est pas du progrès mais le retour à l âge des cavernes où l on croit entendre les grognements des comptables sans âme ni capacités d anticipation et les cris rauques des avinés et shootés derrière la palissade faisant hâter le pas au passant attardé.

    Un jour il faudra détruire cette m.... pour la remplacer par une création architecturale au service de l humain,quand on se souviendra de l époque actuelle comme étant l une des ères de grande décadence de notre Histoire et non pas de "progrès".
    Ici on progresse dans l indigence architecturale,si on peut encore parler d architecture,j'en doute pour ma part.
    Et pourquoi cette rampe de lancement?Pour qu'un autre Mamaudou prenne son élan pour décrocher le gamin accroché au sommet du mur et cette fois ci tombé,nous dira t'on,d un avion?

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  11. Nostalgie quand tu nous tiens...
    En fait cette gare est à l'image de ce qu'est devenue la France. Un mur gris et con avec plein de bitoniaux dont personne ne comprend l'utilité, aussi accueillant qu'un cercueil

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    1. Paul Emic: aussi accueillant qu un cercueil, c'est à peu près ça ! La France , un mur gris ? y a de ça aussi :)

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    2. au moins 50 nuances de gris :-)

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  12. Et si ça se trouve, dans le temps, il n'y avait que des "blancos" (en catalan dans le texte) dans le train ... Cela ne pouvait pas choquer Valls, puisqu'il n'était peut-être pas encore arrivé en France ?

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    1. Gérard: en 1975-1980, quand un black montait dans ce train, tout le monde le regardait avec des yeux ronds, je m en souviens. Aujourd'hui...

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  13. Et bien dans le même acabit il y a 30 ans on a pas trouvé mieux que de détruire la magnifique verrière de la gare de Toulon, sans raison particulière sauf je suppose ne plus s' emmerder à lutter contre la rouille...j' étais jeune mais bien furax.

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  14. Géo

    Il fut un temps,les villages Potemkine étaient soignés.
    Maintenant les affaires vont si mal que ces gens ne font même plus effort pour essayer de sauver les apparences.
    Il se trouvera certainement des élus ou assimilés pour s extasier devant cette impasse murale.
    Du fait de l ambiance du lieu ne pourrait-on pas rajouter des miradors et y jouer des représentations théâtrales du genre" le procès" ou " le château",par exemple?

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  15. Belle et réelle histoire vraie, que beaucoup de français auraient pu narrer. La gare de mon village (Robert-Espagne 55) la même que la vôtre cher Corto, est elle toujours debout, mais les rails ont disparu en 1972 et il ne passe même plus de bus pour se rendre à Saint-Dizier ou Bar-le-Duc, c'est désolent de vivre dans ce monde d'aujourd'hui !

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    1. JP Fraïche: désolant, c'est vrai, déshumanisant, triste, c'est ainsi: le bateau coule, il ne nous reste plus qu'à sabrer le champagne :)

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  16. À 200.000€, j'espère qu'il est prévu une fresque sur ce mur. Genre, une jolie gare à l'ancienne côté rue et des voyageurs en attente de train côté rails.

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    1. plutôt un peinturlureur de rue qui fera une fresque type vomi frais

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France, 2019.