jeudi 7 juillet 2011

Guyane: Un pont trop loin, un pont très con


Pour y avoir habité au tout début des années 90, des années-bonheur, je garde toujours un œil protecteur sur la Guyane, extraordinaire et méconnu département d'outre-mer, " tête de pont " entre la France ( et donc l'Europe ) et le continent sud américain.

En ce temps-là, là-bas, c'était un peu le far-west. Quand bien même le bagne était fermé depuis des lustres, on y bossait dur, on gagnait plus ou moins bien sa vie mais j'en garde de merveilleux souvenirs: les ballades en rivière, la chasse (interdite) aux caïmans, les nuits en carbets, les escapades dans la forêt, les départs de fusées, la mangrove, les plages, les tortues Luth, la vie nocturne ( Le Pénitencier ou le 106 ), la bamboche et le carnaval, le ski nautique, les îles du Salut chères à Dreyfus, le Maroni et Saint Laurent, Saül, Papaïchton-Pompidouville, les morphos, somptueux papillons bleus... Des noms exotiques, chargés d'histoire pour certains, de misère pour d'autres.

A cette époque, à l'aventure, nous mettions 3 bonnes heures avec mon vieux 4x4 Lada pour aller à Cacao, le village des maraîchers Hmongs, en empruntant une vieille piste en latérite défoncée; 3 bonnes heures aussi pour aller dans les marais de Kaw via Roura où l'on prenait le bac pour traverser la Comtée. Il y a un pont maintenant. Faut-il à peine 1 heure aujourd'hui ?

La Guyane d'alors était encore une terre d'aventure, le bout du bout de la France, le département délaissé par la République. L'immigration clandestine pointait de plus en plus le nez: Surinamiens, Brésiliens, Haïtiens, asiatiques égarés; tous en quête de l'Eldorado français. La drogue était facile à trouver, il suffisait d'aller à la Crique, le quartier craignos. Le sida commençait ses ravages. Mais bon an, mal an, que l'on s'y plaisait bien !

Pour aller au Brésil, c'était soit l'avion, soit des heures de piste puis l'on prenait le bac ou la pirogue à Saint Georges de l'Oyapock où l'on traversait en 20 minutes le fleuve du même nom. C'était bien ainsi et tout le monde, même les locaux, savait se contenter de ce périple. Il fallait, si mes souvenirs sont bons, à peu près 4 heures pour aller de Cayenne à Oiapoque, le premier village brésilien accessible. Une aventure, une expédition.

Et puis, ce matin, je suis tombé sur la photo ci-dessus. Un pont, encore un, a été construit. Il a couté 50 millions d'euros, payé pour moitié par la France, moitié par le Brésil. Il fait 378 mètres de long reliant ainsi les 193 millions de Brésiliens aux 190 000 Guyanais. C'est, parait-il, un pont "politique", une promesse commune de Chirac et de Lula, un trait d'union entre l'Europe et le Brésil qu'ils disaient.

Le problème, d'après ce que j'ai cru comprendre, c'est que de ce pont, pas grand monde ne veut, un pont qui sert à rien, un pont inutile. Un pont pour la modernité, sans doute, au détriment de l'authentique et de l'aventure.


Naturellement, la "découverte" de ce pont m'a attristé. Un pont trop loin, un pont très con.


Folie passagère 733.

D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@voila.fr

11 commentaires:

  1. Ils ont loupé leur coup. Ils auraient dû faire un tunnel sous l'Oyapock ^^

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  2. À propos, on le rouvre quand, ce bagne ? Je suis sûr qu'avec l'argent de votre pont il y avait moyen de le remettre en état de fonctionner. Et puis, parmi tous nos prisonniers métropolitains, je suis sûr qu'un très grand nombre se serait très bien adapté au climat…

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  3. L'idée d'un important rapprochement économique, culturel, militaire avec le Brésil, justement grâce à la Guyane, avec des échanges et une coopération intensifiés, me séduit beaucoup, même si c'est un domaine que je ne maîtrise pas forcément.

    Et toi ? Tu critiques l'atteinte "moderniste", mais que penses-tu du symbole ? A titre personnel, je l'apprécie. ;-)

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  4. Si c'est un pont pour relier deux peuples, mon cher Corto, et faciliter les échanges entre eux, ce sera très bien.
    Si c'est pour faciliter l'émigration clandestine ce sera un véritable désastre.

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  5. @carine: et pi quoi encore ?

    @didier goux: mon pauvre si vous voyiez l 'état des bagnes, il y avait plusieurs sites, ce n'est pas 25 millions qu'il faudrait !
    Et oui, le climat est supportable mais faut le vouloir:)

    @alexandre: certes le symbole pourrait etre fort.
    Le pb c'est que ce pont déssert 2 "trous du cul " du monde, 2 culs de sac, l'un en Guyane, l'autre au Brésil, 2 endroits où il n y a rien sinon des gens qui vivaient paisiblement.

    @marianne: l'immigration là-bas n'a pas attendu les ponts, elle est massive depuis des années, un coup de pirogue en venant du Brésil ou du Surinam, suffit amplement. Et la longueur des fleuves ( pas la largeur ) est telle que c'est insurveillable

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  6. Midred
    Le rapprochement entre la France et le Brésil est très avancé en Guyane ^^ et l'immigration aussi. C'est un plus de parler le Portugais du Brésil pour trouver un emploi.

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  7. Corto:
    Pour toi qui t'intéresses à la Guyane et qui l'aimes:

    http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/France/Les-soldats-francais-au-secours-de-l-or-guyanais-_NG_-2011-07-06-686329

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  8. J'aimerais bien t'y voir toi. Vivre toute l'année au même endroit coupé de tout. C'est sûr vive l'aventure ! Mais ça peut-être qu'un discours de bobo qui n'a jamais connu la faim pendant 3 mois ou bu l'eau du tonneau rouillé toute l'année. De croire que les autochtones sont heureux, c'est juste mais croire qu'il n'espère pas de meilleurs conditions de vie, c'est faire fausse route. Non vraiment tant mieux pour tous les gens qui habite dans le coin (y compris Brésilien, les frontières ne sont qu'une histoire d'homme). Il auront accès plus rapidement aux soins, à la nourriture décente et aux autres.

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  9. @anonyme: depuis l écriture de ce billet, ce que je pressentais se produit tous les jours: rien n y passe. Il y a même un dépotoir de voitures rouillées qui s'est installé suite aux saisies des douaniers français. Très rares sont les Guyanais qui l'empruntent et les quelques Brésiliens qui s'y pointent sont refoulés fautes de papiers en règle.

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  10. Pour les curieux, voici le lien vers un film documentaire tourné en immersion auprès des populations vivant à la frontière pendant la construction du pont :

    http://mael.cabaret.free.fr/Films/Oyapock/Oyapock.html

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