jeudi 17 juillet 2014

Le jour où j'ai vu Hong-Kong


C'est décidé, lorsque la politique et ses politocards me gonfleront de trop, je me livrerai. Un peu. Le début d'une série, si la chose vous séduit, qu'on appellera: " Le jour où..."

C'est à l'époque où j'allais régulièrement en Asie acheter à bas prix aux bridés ce que je revendrais cinq ou dix fois plus cher aux bricoleurs venant dans les hypermarchés du groupe pour lequel je bossais.

En 1997, le nouvel aéroport n'était pas encore achevé, nous atterrissions sur l'ancien qui avait la particularité d'être situé en plein centre ville. Rien d'étonnant donc si, du hublot du Boeing 747 d'Air France, vous pouviez voir les gens en train de vaquer à leurs occupations dans leurs appartements. Étrange. Une fois les longues formalités de douanes effectuées, il nous fallait prendre un taxi pour rejoindre l'hôtel. Il n'y avait pas d'hôtels aux standards européens; c'était soit le boui-boui pour chinetoques, soit le palace. Nous allions donc dans des palaces. Le Royal Garden avait notre préférence. Situé sur le vieux Hong-Kong, à Tsim Tsa Tsui, il était à deux pas des quartiers commerçants où vous pouviez acheter tout et n'importe quoi, de "marque" ou de contrefaçon. Le Royal Garden était alors le seul, il me semble, à avoir sur son toit une piscine de laquelle vous pouviez à la fois faire trempette et boire un cocktail tout en contemplant la baie et le quartier des affaires qui faisaient face. Grandiose; surtout la nuit. Hong-Kong débordait d'énergie et semblait ne jamais dormir, ça grouillait en permanence avec des curieux mélanges de très grande richesses et de toute aussi grande pauvreté, de touristes et d'ouvriers, d'hommes d'affaire ou d'élèves allant à l'école en uniforme. Les embouteillages étaient permanents avec ce maelstrom infernal de taxis rouges, de petites camionnettes, de voitures particulières, de voitures de luxe, de camions, de bus à impérial, sans compter la folie de ceux qui osaient la bicyclette. Les pousse-pousses avaient depuis longtemps disparus, même dans les vieilles ex- concessions. Cette ville était une folie à elle toute seule: tout y était possible, il suffisait de demander ou de payer, l'argent y est (toujours) roi.

Je me souviens d'avoir été invité dans  un restaurant incroyable. Pendant que nous dînions, un orchestre symphonique d'une cinquantaine de musiciens en smoking accompagnait notre soirée. L'impression était que la musique jouée se calait sur le déroulement du dîner: douce pour l'apéritif, puis allant crescendo, au fur et à mesure des plats servis, d'ancienne à de plus en plus contemporaine. Mais peu à peu, alors qu'alcools et vins étaient consommés, vous remarquiez à peine que l'orchestre muait. Presque imperceptiblement, les musiciens se débarrassaient de leurs smoking pour se transformer en rockers délirants, les violons étaient remplacés par des guitares et des basses,les cymbales par une batterie;  le repas prit fin sur des airs de Deep Purple, de Queen ou des Led Zep'. De Puccini aux Rollings Stone, entre l'apéro et le digestif. Amazing !.

Visiter les usines où je faisais mes emplettes, c'étaient de grands moments. A ces gens-là, nous n'avions rien à apprendre. Il suffisait de leur demander un mouton à cinq pattes ou une perceuse copie conforme - mas pas trop - d'une grande marque pour qu'aussitôt, le temps d'échanger cérémonieusement nos cartes de visite, ils vous les amènent. Ces gens m'émerveillaient par leur créativité, leur réactivité et leur faculté à me faire croire que pour la négociation sur les prix, c'était moi qui gagnait. Ils se foutaient royalement que vous ayez dix ou trois cent magasins à approvisionner, seul le volume commandé importait. Pour cent unités commandées, vous aviez droit au taxi pour rentrer à l'hôtel; pour cinq cent mille pièces, vous aviez droit à la voiture du patron, boisson fraîche en prime. Dès mon premier voyage, en 1995, j'avais imprimé que la Chine et Hong-Kong seraient les maîtres du monde. Ne sont-ils pas aujourd'hui, selon les critères, la première ou deuxième puissance économique mondiale ? Les ouvriers et les enfants exploités, me direz-vous ? En ce temps-là, ils étaient les premiers à se satisfaire de bosser pour une grande usine à cent euros le mois, frais de dortoirs et de bouffe à déduire et encaissés par le patron.  Pauvres petits chinois exploités ? Il n'y avait que nous, occidentaux, pour le penser. Le pays bossait, les patrons bossaient, les gens bossaient, les femmes bossaient et nous, nous achetions par containers entiers. Ainsi va le commerce international. Fut un temps où the place to be était le Japon, puis Taiwan, c'était au tour de HK et de la Chine. Point barre.

En tant qu'acheteur, nous n'avions pas le droit d'accepter de pots de vins, de dessous de tables ou de cadeaux divers de la part de nos fournisseurs. Jeune dans la profession, j'acceptais, grand couillon, la règle. Mais vint un jour où j'eus un sacré problème...

A ce voyage là, le Royal était complet, un de mes fournisseurs me dégota une suite au Péninsula. Le Péninsula est à HK, ce que le Crillon peut être à Paris, le Savoy à Londres ou le Hyatt à Shanghai. Unique. Avec deux particularités, les voitures de l'hôtel étaient toutes des Rolls Royce et les toilettes du roof étaient exceptionnelles: Suspendues, vitres sans tain, vous pouviez faire petite ou grosse commission en admirant toute la baie et Wangshai.  Amazing (bis) ! Alors que je me reposai dans ma suite, la réception m'appela: J'étais attendu à l'accueil. Je descendis les quelques vingt ou trente étages et arrivait dans le lobby. Là, m'attendait un de mes fournisseurs avec sa femme, son fils, tous habillés en tenue traditionnelle. Courbettes et politesses. Le gars me remit à la vue de tous un colis énorme. Hors  de question de lui faire perdre la face, j'acceptais. Re-courbettes, re-politesses. Remonté dans ma suite, j'ouvrais le colis: une magnifique sculpture représentant une fantasia de cavaliers mongols de plus d'un mètre de long en jade d'une pureté inouïe. Le tout devant peser une bonne vingtaine de kilos. Il m'était impossible de ramener cela chez moi tant par obligation que compte tenu de l'encombrement du bazar ! Une seule solution me vint à l'esprit. J'appelais le directeur commercial de l'hôtel en lui disant que j'avais un gros problème. Cinq minutes plus tard, il toquait. Je lui fis part de mon embarras et lui expliquais que je décidais de faire don à l'hôtel de cette sculpture. Charge à lui de la mettre dans un endroit où mon chinois ne risquait pas de tomber dessus. L’œil averti du connaisseur, il accepta de suite et me demanda: "Comment la direction de l'hôtel pouvait compenser ma générosité". Je me souviens encore de ces mots-là. Mes exigences furent assez simples et certainement pas à la hauteur du cadeau que je leur faisais: une bouteille de leur meilleur Champagne et la Rolls pour m'en retourner à l'aéroport le surlendemain. Mes souhaits furent exaucés: Un cristal Roederer et une Rolls so british pour aller prendre mon avion, non sans faire un tour par The Peak.

Des aventures de ce genre, il m'en est arrivé des dizaines lors de la bonne douzaine de voyage que je fis en Chine et à Hong-Kong. Pas toutes racontables, mais à l'époque, j'avais à peine trente ans...

Une dizaine de jours plus tard, je recevais à mon domicile une lettre de mon si généreux fournisseur. Je ne sais comment il eut mon adresse; rien ne leur était impossible. Dans celle-ci, il me remerciait pour les commandes que je lui avais passé. Une photo accompagnait son courrier: On m'y voyait, content, monter dans la superbe Rolls...

Folie passagère 2380.
D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@voila.fr

41 commentaires:

  1. Encore ! Encore !

    … Ben oui, elle m'a plu, votre petite histoire racontée sur un rythme haletant. J'attends le prochain "Le jour où…" sans trop d'impatience (vous êtes le maître chez vous) mais avec un plaisir anticipé.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Eron: Merci bien, les souvenirs, les bons, ça se distille, lentement, tranquillement, comme un bon calvados

      Supprimer
  2. Tu peux nous en écrire des centaines comme celle là,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Grandps: des centaines peut etre pas, mais j en aai quelques unes en réserve

      Supprimer
  3. J'adore, j'ai l'impression d'être une petite fille et d'écouter un magicien....

    RachelduGers

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @rachel: rachel, rachel, j en ai connu une qui venait commenter assez souvent ici, avant, puis elle a disparu...

      Rien de magique dans tout cela, que du vécu, merci

      Supprimer
  4. "Bridés", "chinetoques", tu ferais bien de brosser ton lexique si tu ne veux pas en prendre plein la gueule, Corto !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Catoneo: tu l auras compris, c'était affectueux. Non que j aime les asiatiques qui pourraient bien nous bouffer tout crus, mais c'est une population admirable, travailleuse, sans chichis à des années lumières des gâtés que nous sommes

      Supprimer
    2. "à des années lumières des gâtés que nous sommes", voilà qui mérite d'être rappelé. Pour le reste, je te remercie de ce témoignage, enthousiaste et réaliste. Une pêche au troll ?

      Supprimer
    3. @Al West: la peche au trolls ? non, ça pollue les trolls, mais vois plus bas François005, il est pas mal celui-là

      Supprimer
  5. Ce monde que vous décrivez fort bien donne une idée de l'enfer et je n'aurais pas eu l'idée d'y mettre un orteil même quand j'étais jeune. Beau texte cependant, bravo !

    Nina

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Nina: un enfer dis tu, somme toute relatif par rapport a ce que vivent d'autres populations. Non le pire dans ce milieu que je fréquentais - et qui charmait le débutant que j étais - c'était l omni présence du pognon, comme rarement j ai vu ailleurs

      Supprimer
    2. Keuwa ? L'omni-présence du pognon, dans un paradis communiste ? On nous aurait menti ?

      Supprimer
    3. @Al West: On nous a menti !!. Les asiats cocos adorent tout autant que nous le pognon, la différence, c'est que eux, ils ne s en cachent pas.

      Supprimer
  6. Si j'avais autant de talent que vous, mon cher Corto, je pourrais vous écrire : "Le jour où j'ai vu Toulon".
    J'avais huit ans et demi, je débarquais du bateau de transport de troupes américain qui ramenait des Européens de toutes origines qui, pour des raisons diverses, avaient passé toute la Seconde guerre mondiale à Shanghaï.
    Il était 13 heures quand je mis le pied à Toulon avec cette drôle d'impression d'entrer dans un cimetière.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @marianne: taratata, votre talent pour écrire a été maintes fois constaté. :)

      Pourquoi un cimetière ? même si j ai une petite idée.

      Supprimer
    2. Dans la version longue, il y avait l'épisode de l'ice-cream qui n'était pas mal, mais là il a été coupé au montage.

      Supprimer
    3. @Jazzman: ??? moi pas comprendre

      Supprimer
    4. Toutes mes excuses, j'ai oublié de préciser que c'était un "private joke" car j'ai déjà lu une version plus longue de "Le jour où j'ai vu Toulon"...

      Supprimer
    5. Mon intention de départ était de mettre le lien, puis je me suis ravisé car ce n'est pas signé du même pseudo, et donc j'ai fini par faire un magnifique sac de noeuds...bref.

      Supprimer
  7. Bravo pour ce billet! J'étais un peu désarçonné au début j'avoue puisqu'il ne contient aucune diatribe anti-étrangers (responsables de tous les maux de la France, c'est bien connu) ni anti-homosexuels, ni même, encore plus surprenant aucune attaque sur les femmes ministres du gouvernement. On s'habitue rapidement et ça en deviendrait presque agréable! Continuez...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @françois005: tu es vraiment né d une banane , toi. mais merci quand même.

      Supprimer
  8. Moi aussi j'en redemande !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @isabelle: ça va viendre, la prochaine est prête mais pas tout de suite, y a tout de même du socialiste à malmener. (cf le com de francois005), faut pas baisser la garde avec ces gens là! :)

      Supprimer
  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  10. Bravo @corto , les aventures de ceux qui ont voyagé sont souvent épiques . Tes souvenirs ont ravivé dans ma mémoire quelques souvenirs assez savoureux , les miens ne sont qu'européens, un grand merci pour tout .
    (mauvaise syntaxe de mon billet donc poubelle)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Claude Henri: faut faire partager ses souvenirs, c'est bien, ça fait voyager, un peu, ceux qui n en ont pas eu l occasion et le blog s y prête bien.

      Supprimer
  11. Et voilà une autre facette de mon blogueur préféré mais je me doutais bien qu'il n'était pas que caustique et qu'il avait vécu sacrément pour se permettre de décrire le monde dans ce qu'il a de plus sympa et aussi de plus triste. Ces petits billets donnent de l'oxygène dans ce monde qui devient étouffant ! Suite au prochain numéro. Mais il n'est pas interdit de piquer une colère quand on voit la nullité de ceux qui nous gouvernent.
    Et c'est là que l'on se rend compte que la France est si petite !...surtout quand elle si mal représentée depuis quelques années.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ^Idel: il faut avoir beaucoup voyager, ou ne pas se voiler la face, pour savoir a quel point la France est petite. Qui plus est qd ses actuels dirigeants n'ont de cesse de la diminuer.

      Supprimer
  12. Merci pour ce billet dépaysant ! En ce moment, avec l'Ukraine, Gaza, les turpitudes de notre gouvernement qui n'en finit pas de persévérer dans la bêtise, j'avoue que j'ai le moral dans les chaussettes. Vos aventures à Hong-Kong sont donc les bienvenues, d'autant que j'adore les voyages, mais aussi les récits de voyages lorsqu'ils témoignent de mondes différents dont nous pourrions (en prenant le meilleur bien entendu) nous inspirer. Même si le bruit et l'agitation de Hong-Kong ne sont pas ma tasse de thé, je m'en accomoderais très bien le temps d'un voyage touristique qui serait sûrement différent de vos séjours professionnels qui permettent sans doute d'appréhender d'avantage la réalité d'un peuple.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Cyrielle: heureusement, les voyages touristiques n ont pas manqué. Quand a l Asie , j y ai été suffisamment, même pris quelques congés, pour avoir une petite idée de la réalité locale.

      Supprimer
  13. c'est juste parfait comme il faut Corto,
    continuez entre réminiscences et fâcheries.
    j'aime beaucoup si on sait regarder au delà des lignes.
    BC

    RépondreSupprimer
  14. N'importe qui, enfin le clampin Lambda, eût demandé une super-nana pour garnir sa chambre
    lors de sa dernière nuit, pas toi! C'est ce qui s'appelle faire honneur à la France!
    Oups, j'ai sorti une connerie...
    Amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Noouratin: Tu n as pas dit de conneries. Pour garnir les oreillers, là-bas, point besoin de demander. les fournisseurs savaient faire plaisir aux acheteurs. Il arrivait parfois que l on toque à la porte...

      Supprimer
  15. Quand je pense que j'ai déj'né plusieurs fois avec un type qui accepte les pots de vin en jade !
    ET QUI LA DONNE A L'HOTEL !
    Enfin, la troque...

    Comment interpréter le final ?
    L'hôtel a cafté ? Le donneur s'y attendait pour avoir déjà vécu la scène ?
    Quel est ton avis ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @lamouette: A HK, tout se sait. Et les locaux parlent entre eux. Je pense que c'est l hotel qui a cafté. ils étaient les seuls a avoir mon adresse perso car quand on faisait son check-in, ils vs prenaient le passeport et le photocopiaient sous toutes les coutures. Le fournisseur a du passer pour une raison ou pour une autre et s'est enquis de mon départ.
      Quant à la photo, c'est l hotel qui l a prise comme ils faisaient pour tous ceux qui prenaient une Rolls. Je crois même qu on pouvait les retirer plus tard à la réception. N' y étant jamais retourné...
      Quant au fournisseur, j ai continué a travailler avec lui quelques temps jusqu au jour où sur une livraison, il a merdé.

      Supprimer
  16. Ah! les voyages de luxe payés par les fournisseurs aux acheteurs de grandes enseignes,ce sont des souvenirs ineffaçables(sauf quand ton entourage te croit corrompu même si tu as ta conscience pour toi)j’attends tes autres souvenirs,moi aussi,avec impatience.Amitiés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @jean-marc: attention, faut pas fantasmer non plus, depuis le début des années 90, les choses se sont nettement assainis, "La vérité si je mens" , même si très drôle, a été une vraie saloperie en dépeignant des trucs qui n'avaient plus vraiment cours.
      Perso, je n ai jamais accepté un voyage d'agrément sans en avoir averti et obtenu l'accord de ma direction. certains "voyages" permettant parfois d'arranger bien des choses.
      amicalement,

      Supprimer
  17. Au moins, à HK, Chine et Japon, on ne voit que des Chinois et des Japonais. En France, ben...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @blh: taratata, on y voit aussi des tas de philippins et philipinnes qui pour 3 sous de l heure bossent comme des nègres, oups, pardon, comme des chiens, pour les chinois fortunés. Par contre, je n y ai jamais vu de muzz installés, à croire qu'ils n en veulent pas. va savoir pourquoi :)

      Supprimer

La modération des commentaires étant activée, leur parution peut prendre quelques temps.

TOUT COMMENTAIRE ANONYME SERA SUPPRIME

France, 2019.