L'équipage a été rassemblé dans la cour du château. Le départ pour la chasse est imminent. Il est onze heures. J'ai eu le temps de faire connaissance avec Louxor, ma monture, parait-il, docile. Mouais, nous verrons et si ce n'est l'apparence fière que me donne ma tenue, je n'en mène pas large. Je ne suis pas monté à cheval depuis au moins dix ans et il semble qu'une chasse à courre n'a rien de comparable avec une ballade ou une reprise en manège. J'ai joué le jeu et me voici donc élégant, vêtu d'une redingote noire, d'une culotte assortie, d'un gilet rouge cintré comme il faut et d'une chemise blanche. Mon hôte a eu la gentillesse de me nouer ma lavallière. J'ai chaussé les bottes et pris cravache.
Le maître d'équipage nous fait face et nous assigne à tous nos rôles et les directions à prendre. Les cerfs ont été repérés le matin même, leur localisation est à eu près définie. Nous sommes une quarantaine de cavaliers répartis en 3 groupes. La meute de chiens a été libérée. Nous partons à l'attaque, les chiens devant - après tout, en vérité, les chasseurs, ce sont eux - et nous, les veneurs, derrière. Les chiens crient et, si j'ai bien compris, n'aboieront que plus tard. Nous partons au petit trot, je n'ai jamais aimé cette allure lui préférant le trot enlevé. Les suiveux sont partis de leur côté en cortège. Un vrai temps d'automne, humide et frais. L'allure forcit peu à peu. Mon groupe part à gauche là où une grande allée forestière s'offre à nous. Déjà bien en avant, les chiens crient et courent à fond. Leur flair et leur instinct leur feront retrouver rapidement la piste des cerfs. Si ceux-ci sont plusieurs, les chiens feront leur choix et n'en poursuivront qu'un. Les premiers coups de trompes résonnent déjà dans la forêt. A chaque son correspond un mot que seul les initiés, chiens compris, pourront comprendre. Ceux qui sonnent, toujours d'après ce que j'ai compris, indiquent aux autres groupes (mais aussi aux suiveux) si un cerf est pris en chasse et la direction à suivre. Autant dire que je n'ai pas intérêt à m'isoler des autres. Le rythme s'accélère peu à peu. Les coups de trompes se font plus fréquents. Nous galopons régulièrement, changeons souvent de direction, traversons allées et parcourons des kilomètres sur divers sentiers. Jusque là rien d'extraordinaire si ce n'est une ballade mouvementée dans des paysages somptueux. Un premier regroupement a lieu quelques temps plus tard. Le Maître redonne cohésion à l'ensemble, le cerf est identifié et pisté sans relâche par les chiens qui crient plus que jamais.
Le Piqueux, responsable des chiens, les a enfin lâché; en fait, avec des cris soutenus et puissants, ils les motive, les "bouscule". Les cris du Piqueux sont curieux et, hors le cadre, sans doute passerait-il pour un fou furieux. Le rythme est de plus en plus soutenu et les sons des trompes se succèdent de plus en plus rapidement. La seule chose que je comprends c'est qu'à en croire l'accélération et des chevaux et des coups de trompes, la fin semble proche. la promenade s'est transformée en véritable cross-country monté. Il m'arrive de pousser des cris, pas tout à fait rassuré. Nous franchissons, comme dans les films, un ruisseau. Malgré les éclaboussures, j'ai chaud. Nous stoppons un instant; on me dit que les chiens maintenant ne crient plus, ils aboient, le cerf doit être acculé. Seuls les initiés entendent ce changement de ton. Le cerf est aux abois, une sonnerie, l’hallali, retentit. Nous nous pressons pour ne pas arriver les derniers. Malgré les images que je redoute un peu, je veux voir, tout voir. Etre là lorsque le cerf, tenu en respect par les chiens, sera servi (tué) d'un coup de dague bien placé. La manœuvre est assez dangereuse. C'est le Piqueux qui, ce jour-là officiera; pas de chance, notre groupe arrivera juste après. L'animal est mort. Tous les cavaliers se réunissent autour, à cheval ou en mettant pied à terre. Les sonneurs lui rendent un hommage. N'en déplaise aux contempteurs, la scène est assez émouvante.
Retour tranquille au château. Les chiens et l'animal, revenus en camions, nous ont précédé. Sur la prairie, tout le monde est rassemblé. Le cerf a été dépecé: la peau et la tête du cerf, d'un seul tenant appelé la nappe, recouvrent les abats. Ils seront offerts aux chiens lors de la curée à venir, curée à laquelle, il serait totalement fou de se joindre. Les morceaux nobles sont distribués aux suiveux. Après le rapport entre initiés, le Maître d'équipage offrira l'un des pieds à une personne de son choix, en l’occurrence à l'un des veneurs dont c'était l'anniversaire et qui se serait illustré pendant la chasse: Il lui rend ainsi les honneurs.
Les hommes de mains s'occupent des chevaux et des chiens. Il ne reste strictement rien de la curée.
J'ai mal au cul mais me joins avec plaisir à l'équipage, dans la salle de chasse, pour casser enfin la croûte. Chacun a amené son panier composé de "sandwiches" et de bonnes bouteilles; autant vous dire que l'on ne saurait, ici, se contenter de vulgaires casse-croûtes à deux balles accompagnés de coca. Que du meilleur ! On se remémore les bons moments de la chasse; je suis complimenté pour ma tenue et ma participation à la chasse même s'il me semble n'avoir rien fait d'autre que de me maintenir en selle. Quatre heures durant.
La chasse se termine par un concert de cornes et de trompes joué par un ensemble d'une dizaine de gars en grande tenue. Superbe pour finir en beauté cette journée. Entre le départ à la chasse et la fin du concert, j'aurai passé huit heures à découvrir un autre monde, une séquence hors-temps inoubliable.
Ce soir, à vingt et une heure, souper est donné au Château... Ces gens-là n'arrêtent jamais.
Demain, une parenthèse, surréaliste pour le profane que je suis, se referme.
Folie passagère 1900.
D'accord, pas d'accord: atoilhonneur@voila.fr
Superbe. On s'y croirait.
RépondreSupprimer@H.: Et on y retournerait avec plaisir
SupprimerHistoire d'illustrer vos billets : http://koltchak91120.wordpress.com/tradition/
RépondreSupprimer@Koltchack: superbe. Tous les jeudi soir là où j étais il y a dans la cour du chateau , répétitions puis concert. Le truc dure 1 petite heure et résonne dans toute la campagne environnante. Assez génial
Supprimer@Koltchack
SupprimerMerci beaucoup :-)
C'est magnifique et ça a vraiment de l'allure. Musicalement, mais aussi visuellement parlant.
Quand on n'est pas trop loin, on peut profiter parfois de ces concerts. C'est impressionnant, et je souhaite à tous de pouvoir vivre, ne serait-ce qu'une fois, de pareils moments. C'est grandiose.
La Marche de Vénerie
Supprimerhttp://youtu.be/RRcKoaRcc_k
A la chasse nous allons !
Voyez-nous partir en grand équipage.
Belles dames, joyeux garçons,
Chacun nous admire sur notre passage.
Elégants cavaliers,
Brillants officiers,
Amazones légères !
Mais Jeannette préfère
Un jeune valet
Très fier de ses mollets !
A la chasse nous allons !
Voyez-nous partir en grand équipage.
Belles dames, joyeux garçons,
Chacun nous admire sur notre passage.
@Koltchack
SupprimerMerci encore. :-)
Je la connais aussi. Bien que je ne sois pas du tout une pro de ce style de musique. Mais quand j'ai l'occasion, je sais apprécier... ;-)
Dommage que le cerf n'assiste pas à la fin. Je suis certain que ça lui aurait plu de recevoir lui aussi quelques félicitations.
RépondreSupprimer@Pangloss: mais d une certaine manière, difficile a comprendre ou admettre pour les profanes, il est félicité, on lui rend même les hommages
SupprimerIl n'est pas félicité. Il est MORT et n'entend plus rien. L'hommage et les félicitations ne sont que des simagrées destinées à atténuer le sentiment de culpabilité des uns et la jouissance sadique des autres.
SupprimerCe ne sont des simagrées que pour les modernes.
SupprimerIl ne faut pas oublier que la chasse à courre est un art qui remonte à la nuit des temps et qui reste imprégné de l'esprit des siècles passés. Il s'agit de reconnaître la vaillance du cerf qui s'est bien défendu et à ce titre hommage lui est rendu. Un peu comme on rendait les honneurs à ennemi qui s'était bien défendu. N'oubliez pas que la chasse à courre était pratiqué afin de se maintenir en forme et d'entretenir les vertus guerrières. Il n'y a nul sadisme là-dedans. Ce genre de saillie est généralement le fait de citadins qui ne connaissent rien à la chasse, à courre ou pas.
@Koltchack: Rien à ajouter !
SupprimerUn empêchement de dernière minute? Une mauvaise rencontre?
RépondreSupprimerJe te croyais sur une île déserte ou au fin fond d'un pays civilisé , et je vois que tu t’entraîne à chasser le gros gibier et à festoyer , bon week-end , toutes les expériences nouvelles sont bonnes à prendre .
RépondreSupprimer@claude henri: excellente expérience en tout cas. A refaire à la première occasion
Supprimeralors moi, je vais te dire, si jamais tu ne me ramène pas une photo de toi en grande tenue, ça va barder et je te préviens que je passe le mot à LO....
RépondreSupprimersoigne ton postérieur et bisous
@Boutfil: si tu me pardonne d avoir participé à cette " horreur " :)
Supprimertout dépendra de la photo..lol
SupprimerAh oui ! Tu dois être tout beau dans cette tenue, alors pas de mauvaises excuses pour se dérober.
SupprimerLa photo !
@Vlad: je verrai, je verrai, tout se mérite !
Supprimer@ Corto
SupprimerMais nous sommes si sympas que nous le méritons bien. ;o)
Mon cher Corto vous êtes un pédé hors classe.
RépondreSupprimerVotre précédent billet ("Alain Delon a raison: L'homosexualité est contre-nature") m'en avait déjà largement convaincu.
@Fredi maque: "pédé hors classe" on ne me l avait jamais fait celle là, je suis touché. merci
Supprimerfredi maque , Corto est un homme extraordinaire mais je serais curieux de le, voir en habit cintré.
RépondreSupprimerEpisode 3, retour vers la socialie et là la chute sera très dure.
Quabd on fait du cheval, on a mal au cul et l'épisode 4 consiste à le réparer car le canasson ça bouffe le cul
@Grandpas: retour ce soir, l actualité est riche de gaucheries à commenter
SupprimerBravo à Jeff qui avait trouvé la bonne réponse!
RépondreSupprimer@Orage: jeff a émis la possibilité, Aristide a confirmé. Les deux seuls en tout cas a avoir trouvé
SupprimerJe serais curieuse de te voir en habit, un verre en cristal taillé à la main... rassures moi tu n'avais pas pris de gobelet en plastique.
RépondreSupprimerComme dans bien d'autres choses, la chasse à courre est bien avant et après, mais plus dès l’hallali, cela ressemble ensuite soit à un naufrage soit à une scène de torture.
Pour vos billets je vous en conjure, évitez les mauvaises années, on a besoin d'espoir.
@lady Waterloo: un verre en plastique eut été une faute de gout impardonnable.
RépondreSupprimer" évitez les mauvaises années " ??
très chouette de partager ce moment intense. suis jaloux!
Supprimermerci Corto.
@Vonflern: la jalousie est un vilain défaut mais a ta place, je le serais un brin
SupprimerMerci de nous avoir fait partager un moment aussi intense. Tout en nous ayant évité ce qui peine quand même un peu mon petit cœur fragile ;-)
RépondreSupprimerC'est criant de réalisme et on s'y croirait vraiment.
Bravo !
Mais attention, ici, il y a d'énormes gibiers très pervers à chasser ; et très coriaces... Des nuisibles indestructibles !
Et à chasser sans cheval. :-(
@Franzi: merci a toi.
SupprimerPour les autres gibiers, ma prochaine victime sera... ?
On s'y croirait, comme dit Franzi, mon cher Corto.
RépondreSupprimerC'est remarquable !
Une petite déception cependant : vous n'avez pas mérité l'honneur de recevoir ne rait-ce qu'une patte de l'animal, malgré votre derrière en capilotade ?
C'est d'une injustice crasse, que d'aucuns ne se gêneront pas pour dire qu'elle est consubstantielle à ce milieu.
@marianne: merci, c'était génial. D'après ce que j ai compris, un invité lambda comme moi ne reçoit que très rarement les honneurs. Par contre un invité qui viendrait d'un autre équipage les recevrait presqu'à coup sur.
SupprimerEt pis franchement, j aurai eu l air fin avec mon pied de cerf, si encore cela eut été un pied de biche, j'dis pas !
Merci pour ce retour d'expérience en 2 partie Corto ; ça m'a ramené quelques dizaines d'années en arrière quand, plus jeune, mes parents nous emmenaient en lisière de forêt pour entendre le brame des cerfs et croiser de temps en temps un équipage en chasse...
RépondreSupprimerUne petite cure de jouvence bienvenue en ces temps clairement pourris !
Salutations franchement cordiales, vous avez de la classe.
:-)
@Psychofreine: ah mais de rien , tout le plaisir est pour moi :) Mais quel bonheur, tout de même, vraiment à vivre par toute personne qui en aurait l 'occasion.
RépondreSupprimerBonne soirée a toi
la cause des tueurs est indéfendable, la chasse n'est qu'une manière de défouler ses pires instincts sur des animaux sans défense.
RépondreSupprimerAmicalement à toi
Nettoue
@nettoue: un point de vue comme un autre, n'est-il pas ?
Supprimerbonne journée à toi
Animaux sans défense?
SupprimerSauf erreur de ma part, il y a à peine la moitié des attaques qui vont jusqu'à l'hallali. Le cerf court, sème les chiens au besoin. l'instinct aidant, les animaux qui se défendent le mieux utilisent des techniques comme le vol-ce-l'est, ou reviennent vers une harde pour la faire se lever et brouiller les pistes. Et oui, en vènerie, on chasse l'animal qu'on a choisi.
Quant à "défouler ses pires instincts"... Non, je ne crois pas. Les vrais chasseurs, ce sont les chiens. L'homme dans le cas de la chasse à courre guide et exploite les instincts de chasse d'une meute de chiens, prédateurs naturels (à l'origine) de ces animaux sauvages que sont les cerfs (chevreuils, sangliers, renard, voire lièvre)
Ce sont des instincts de prédateur et de proie. Pour ma part je trouve fascinant de voir que les jeux sont beaucoup plus équilibrés qu'on ne pense de prime abord.
Popeye